Le sourire du scorpion, Patrice Gain
Le sourire du scorpion
Patrice Gain
Éditions Le mot et le reste / 2020
206 pages
Cette intrigue se lit d’une traite. C’est court, rapide et ça monte autant en intensité que ça descend dans le désespoir. Ce n’est pas le genre d’intrigue face à laquelle vous allez faire des cris de joie tellement elle est bluffante, non, mais plutôt le genre d’intrigue noire, qui démoralise et qui maintient la tête sous l’eau. Nous sommes bien face à un roman noir en bonne et due forme, le genre d’histoire qui nous place face à des gens standards - ici une famille - qui vont nous livrer une histoire bien hideuse.
Monténégro. 2006. Une descente en rafting dans les gorges de la Tara va davantage s’apparenter à une descente aux Enfers qu’à une folle escapade en famille. Et je ne parle pas ici uniquement de la descente en rafting ... Tom, Luna - jumeaux - et leurs parents nous emmènent dans une atmosphère pour le moins nébuleuse !
La tension de ce récit, qui monte crescendo, se calque parfaitement bien sur la tension nerveuse qui émane de notre embarcation familiale. C’est très crispé ! Le roulis, l’onde instable de la surface de l’eau, ses accélérations, additionnés à ce paysage magnifique qui s’assombrit toujours davantage, imbriqué au cœur de cette ambiance électrique, nous envoient une salve de paradoxes dans la gueule. Ça va faire des vagues, on le redoute, mais on n’en est pas vraiment sûrs non plus !
Cette atmosphère et cet environnement, aussi oppressants que pesants, nous étouffent toujours plus au fil des pages. L’auteur guide les éléments avec une grande adresse, je le reconnais, et les retourne contre nous, contre les personnages. Oui, Patrice Gain joue avec la nature sans aucune retenue ! Cette habileté sera pour moi la pièce maîtresse de cette œuvre.
Une seconde pièce va trouver sa place dans ce puzzle en pagaille. Il s’agit de la psychologie des personnages face au danger, face au malheur et à la douleur. Mais attention ! Le rythme a tendance à se casser la gueule au bout d’un certain moment. Stagner dans cette psyché familiale est un peu étouffant pour moi, mais cette fois-ci dans un sens plutôt négatif. Dans l’ensemble, sincèrement, cela ne lèse pas véritablement l’œuvre.
Cependant, je dois admettre que c’est très bien écrit. Les nombreuses descriptions sont pénétrantes et nous engloutissent complètement dans ces paysages sobres et aérés. Les personnages ont tous un truc à nous apprendre, surtout celui de Luna, qui m’a marqué par sa force.
L’intrigue avance par palier et nous plonge progressivement en sinistrose. Entre une famille en perdition, des enfants livrés à eux-mêmes ou encore des fantômes du passé nous livrant les échos de massacres d’ex-Yougoslavie, l’auteur nous démontre à quel point tout peu dégringoler, sans la possibilité de revenir en arrière.
Il y a une grande force qui émane de ce récit, provenant de personnages qui sont contraints de regarder uniquement devant eux, comme s’ils évoluaient en équilibre sur un fil tendu au-dessus d’un précipice. Mais jusqu’où peut-on avancer sans filet ??
Patrice Gain nous laisse avec une intrigue forte, dure et destructrice, qui se lit d’une traite !
Bonne lecture.