M, Le bord de l'abîme, Bernard Minier --- Un vrai casse-tête chinois numérique !!
M - Le bord de l’abîme
Bernard Minier
XO Editions / 2019
564 pages
« Sept cent millions de Chinois, et moi, et moi, et moi » ! Eh oui, cette phrase, Jacques Dutronc l’avait formulée en musique et Bernard Minier l'exprimera en numérique. Cette trame donne le tournis face à cet envahisseur asiatique !
Je pense l’avoir affirmé pour chaque bouquin de Bernard Minier et là, de toute évidence, je vais réitérer mes propos. Le premier personnage - et pas des moindres ! - qui nous accueille et qui s’impose par son charisme, son épaisseur, c’est l’atmosphère.
Nous sommes à Hong-Kong. La moiteur permanente nous fait suer, la pluie nous martèle le crâne, la pollution comprime nos poumons et, surtout, les milliers de personnes qui déambulent à pas rapides autour de nous, nous donnent le tournis. Quant au ciel, gris et chargé, il se devine uniquement entre les building illuminés et monumentaux qui se multiplient à foison.
Bernard Minier nous fait prendre de la hauteur, mais nous étouffe aussi, avec une aisance déconcertante.
Ming Incorporated, « M », entreprise chinoise d’intelligence artificielle - IA - sera alors notre première destination et la créativité numérique sera, quant à elle, notre principal sujet de discussion. Qui dit IA, dit intrusion totale !
Moïra Chevalier, d’origine française, débarque dans cette mégapole asiatique suite à une postulation chez Ming Inc. Cette femme - nous le découvrirons assez vite -, semble davantage vouloir découvrir un pan de sa vie, prouver quelque chose, plutôt que d'obtenir un emploi.
L’ambiance est électrique - électronique ! - et devient vite oppressante et gluante, sensation qui se marie bien, d’ailleurs, avec la moiteur ambiante. En suivant à la trace ce personnage, Moïra, nous aurons l’impression, comme elle, que tout semble calculé, surveillé, manipulé et conditionné. Oui, la situation est gênante. Nous pressentons que tout va aller bien trop loin.
C’est quoi l’intelligence finalement ? Dans les grandes lignes, c’est l’aptitude d’un être humain à s’adapter à une situation, à choisir des moyens d’action en fonction des circonstances. A présent, vous oubliez l’être humain et vous mettez tout cela entre les mains de moyens numériques. Oui, au bout d’un certain moment, ça peut sacrément merder ! Dans cette histoire, nous allons y obtenir la preuve.
Cette trame, au fil des pages, commence à vous donner le vertige. Les faits, remarquablement bien étayés par l’auteur, nous font pas mal réfléchir sur l’éthique, la déontologie ou alors, d’une manière générale, sur le but à atteindre ! Qu’est-ce que nous recherchons ? Pourquoi ?
Rendre la vie plus facile la rend aussi moins maîtrisable...
Je parlais donc d’une sensation de vertige, mais je pourrais aussi mettre en avant la sensation de malaise. Dans ces lignes, plus on avance, plus on a le sentiment d’être vulnérables et à la merci d'une sorte de « mafia informatique », même en étant vigilants. On nous observe, on nous surveille et, surtout, on nous calcule.
Paradoxalement, en parcourant cette histoire purement numérique, je me suis dit que c’était finalement une trame profondément humaine. Cette intrigue nous met à jour, intensément, intimement, et l’humain garde ici une place, par définition, très importante. C’est tellement déshumanisé que cela en devient un problème humain, justement. Nous éprouvons une sorte de manque de liberté, qui devient même asphyxiant et, pour ma part, je n'ai pas cessé de penser à l'être humain, en tant que tel. Difficile à expliquer.
Bernard Minier va lier cet aspect numérique à une vaste enquête criminelle se déroulant à travers Hong-Kong. Dans cette ville de sept millions d’habitants, où tout semble impersonnel, anonyme, des crimes odieux sont perpétrés sur de jeunes femmes ayant toutes un point commun : Ming Incorporated.
L’auteur lie crimes et numérique, c’est vrai, mais ce n’est peut-être pas le seul dans cette histoire. Je ne vais pas entrer dans le cœur de l'intrigue, évidemment, je vous laisserai vous y enfouir vous-même.
C’est tendu. C’est en se crispant de plus en plus que nous froissons les pages les unes après les autres. L’ambiguïté s’amplifie notamment au niveau des personnages. Eh oui, difficile de faire confiance à un Chinois, paraît-il. Mais pas que ...
Dans cette atmosphère malsaine, fétide et faisandée, où tout semble permis, même l’interdit, nous allons être obligés de nous soumettre aux faux-semblants mis en place par l’auteur. Dans cette antre poisseuse et fascinante à la fois, où règnent le sexe, l’argent et le pouvoir - les trois s’associent, évidemment -, tout va nous paraître opaque et assez incertain.
Le fin mot de l’histoire nous arrive petit à petit, par salves, par jets, et nous conduit dans les tréfonds du Mal. L’humanité est quelque chose de précieux, non ? A méditer.
Ce qu’il ne faut pas oublier - cela sera le mot de la fin -, c’est que dans humanité il y a humain. Est-ce que nous sommes en train de nous en éloigner ? Pensez à vos habitudes, à vos gestes de tous les jours et essayez de répondre honnêtement à cette question.
Bonne lecture.