L'essence du mal, de Luca D'Andrea

Publié le par Paco

L’essence du mal
Luca D’Andrea

Éditions Denoël / 2017
453 pages


La température baisse d’un seul coup lorsque nous ouvrons ce thriller. Le fait de tourner les premières pages de ce livre donne l’effet d’un fort vent glacial qui nous souffle au visage. Nous sommes dans le Sud-Tyrol, en Italie, lieu où vit l’auteur. La montagne est belle, mais elle est aussi quelques fois cruelle. Parfois, elle choisit de nous garder à tout jamais, ou alors elle décide finalement de nous recracher, en nous rendant fou.


La jalousie, la haine ou encore son antonyme, l’amour, vont rythmer cette histoire qui nous laisse, au final, avec beaucoup d’interrogations. Pas dans la trame même du roman - c’est plus que limpide -, mais dans le fonctionnement de la nature humaine. C’est vraiment compliqué.

Le jugement, dans toutes ses déclinaisons, sera à nouveau un élément important.

Le rythme est dès le départ très « Rock’n Roll » ! L’auteur nous présente deux personnages déjantés, deux potes américains, qui font dans le visuel. Après avoir essuyé mille échecs, ils décident de se lancer dans le documentaire. Cette nouvelle orientation les conduira tout d’abord dans le monde du rock.

Mais c’est ensuite vers le Sud-Tyrol, en Italie, que nous décollerons avec Jeremiah Salinger - l’un des deux gars -, qui a décidé de se mettre un peu au calme, en compagnie de sa femme - qui vient de la région - et de sa petite fille. Nous vivrons dès lors dans un petit village de montagne, avec tout ce qui va avec.

A ce propos - petite parenthèse -, l’auteur nous enfouit profondément dans l’ambiance de cette montagne - la vraie ! -, par les récits ou les dialogues des personnages que nous croiserons en arrivant au Tyrol. Je dis la vraie, car je parle de la montagne de l’époque où les hommes s’y aventuraient par obligation, avec peu de moyens, pour le travail, pour vivre - survivre - ou pour sauver.  L’époque a changé, mais les personnes sont toujours là, avec la montagne dans le sang et dans l’âme.

Le premier récit que nous écouterons en arrivant dans cette région, rapporté par un vieil homme, soit le beau-père de Jeremiah, nous remettra gentiment à notre place, c’est-à-dire dans l’ignorance face à la montagne, la vraie (j’insiste). Elle est devenue plus accessible, c’est vrai, plus ludique aussi, mais elle reste néanmoins fidèle à elle-même : indomptable.

Le son des pales d’un hélicoptère qui passera un jour au-dessus de Jeremiah, en direction des montagnes, va retentir comme un écho dans sa tête jusqu’à lui forger une idée fixe : mettre sur pied un reportage sur les services de secours en montagne.

Cela ne durera pas : douleurs, angoisses, fatalité ? Je n’en dirai pas plus.

Soit... Concernant notre ami Jeremiah, c’est vers l’année 1985 qu’il va diriger son regard et déployer toute son énergie. Une tragédie s’est déroulée durant cette année-là, dans la forêt de Bletterbach, lors d’une tempête historiquement monumentale. Des morts, de la violence, un massacre, puis que du silence. Au patelin, on ne parle plus de « ça ». Pour Jeremiah, cela sera une raison suffisante pour tenter de comprendre ce qu’il s’est vraiment passé trente ans auparavant, le 28 avril 1985.

Mais celles et ceux qui s’intéressent de près ou de loin à cette histoire, n’en ressortent en principe pas indemnes. Curieux et persévérant, dérangeant ce petit monde qui vit en autarcie, il va remarquer que les langues - de vipères - ne se délient pas si facilement. Entre des ragots qui semblent carrément être une langue nationale et des rumeurs qui paraissent être une vérité absolue, Jeremiah va s’enfoncer toujours un peu plus vers une finalité qui n’est à la base pas la sienne.

Pour être le bienvenu dans ce village, il faut être né dans ce village. Sinon, tu restes un étranger. Et si en plus tu es un étranger qui dérange, là, ça devient problématique. Jeremiah va être cet étranger qui dérange, qui déterre et qui agace.

L’auteur arrive avec ce récit à nous enfermer dans une sorte de huis-clos, dans ce petit village où tout le monde se connaît, où le secret et la honte semblent très bien gardés. Des têtes dures ! Paradoxalement, Luca D’Andrea nous en met plein la vue avec ce décor majestueux du Tyrol du sud. C’est enivrant, hypnotisant, nous sommes absorbés par cet endroit isolé, comme dans un entonnoir, très loin de la civilisation.

En parlant d’hypnotiser, c’est un peu ce qui va se passer pour Jeremiah, mais dans un autre registre. Le fait d’avoir voulu en savoir un peu plus sur cette histoire de massacre de 1985, il va atteindre un palier qu’il aurait dû éviter en fuyant dans une autre direction. Cette histoire, telle une malédiction, même si tu souhaites la chasser de ton esprit, elle ne te quittera plus. Elle paraît carrément maudite.

Le personnage de Jeremiah est très intéressant et intrigant. C’est un homme tranquille, ambitieux, tellement curieux qu’il se met à creuser un peu partout, sans vraiment savoir pourquoi, tout en négligeant, sans vraiment le vouloir, ce qui compte le plus pour lui. C’est un homme qui est prêt à perdre, inconsciemment, tout ce qu’il a construit. Finalement, c’est un personnage que nous aimons et, paradoxalement, que nous aurions envie de gifler.

Le dénouement est dur, surprenant et nous dévoile une face cachée de certains personnages. Cette histoire, finalement, nous en dit long sur la nature humaine, sur son fonctionnement, dans ce monde de fous.

Bonne lecture.

Publié dans Littérature italienne

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