"De force", de Karine Giébel

De force
Karine Giébel
Belfond / 2016
522 pages
Ouvrir un bouquin de Giébel, - à présent je le sais -, c'est se donner un moyen d'observer la nature humaine, mais celle qui fait plonger l'être dans la terreur, le désespoir ou encore la souffrance. L'Homme dans toute sa splendeur. La douleur aussi, beaucoup de douleur, celle qui ne faiblit pas à travers les années, qui se nourrit même avec le temps qui passe.
Dans "De force", deux constats principaux: concernant les personnages, cela reste pour moi une réussite totale. Giébel a un réel don pour cela, soit de savoir leur donner une âme vive, forte et très présente. Par contre, au sujet de la trame principale, je la trouve banale et manquant d'originalité. De plus, j'ai eu le "malheur" de voir venir le dénouement un peu trop rapidement, sans toutes les subtilités, évidemment. Mais voilà, quand on est face à un roman de Karine Giébel, nous plaçons la barre haute. C'est du moins mon cas.
A présent les détails.
Dans "De force", nous allons rapidement être confrontés à des thèmes d'ordres familiaux, qui pointent le doigt sur des aspects tels que le rejet, l'ignorance, l'indifférence, l'humiliation ou encore la peur. Mais aussi d'autres aspects tels que l'amour, qui peut parfois être pire que les qualificatifs que je viens de citer, et l'obsession, donc encore une fois la douleur.
L'agression violente d'une jeune fille dans un parc, avortée par la présence et la défense d'un jogger, va nous éloigner du prologue et nous conduire vers le début de cette histoire. Le jogger c'est Luc, garde du corps de métier, et la jeune fille c'est Maud, issue d'une famille riche et respectable - ou plutôt respectée -, dont le père est chirurgien.
Luc va être engagé par ce père de famille pour une mission de protection suite à des menaces sérieuses se dirigeant contre eux, des menaces planant et plongeant de plus en plus bas et de plus en plus près de leur cocon familial. Enfin... Cocon, une apparence.
Quels personnages encore une fois dans ce thriller!
Karine Giébel façonne ses personnages dans un métal précieux et de qualité, à l'image de Luc, jeune homme sûr de lui, cash, honnête, mais qui semble avancer avec des boulets aux pieds, arraché par de vieux démons qui refusent de lâcher prise. Qui est-il vraiment? Ou plutôt, que traîne-t-il derrière lui?
Ou encore le père de Maud, "surprotecteur", homme puissant, influent, qui étouffe sa fille comme si elle allait se désintégrer à tout moment. Un homme inquiétant, antipathique, froid, craint, qui suscitera une grande méfiance de notre part. Qui est-il vraiment?
L'interaction entre ce jeune homme cash et ce père de famille que personne n'ose affronter est absolument superbe.
Les interactions en général sont très tendues, brutes, dérangeantes et vives. Karine Giébel frappe cette fois-ci dans l'âme des personnages qui deviennent meurtris et blessés. Mais le sont-ils déjà dès le départ?
Luc, qui logera dans la propriété, va mener sa mission avec un sérieux impressionnant, tout en observant les personnes évoluant autour de lui. Il remarquera que les membres de cette famille riche et noble ont des manières de faire et des mœurs pas si nobles que cela, mais riches en information.
"Ici, l'argent, le luxe et les convenances ne sont qu'un tapis sous lequel s'accumule la pourriture." Page 88
La trame est intéressante mais, comme je l'ai dit avant, manque d'originalité. Nous savons ce qui se passe, nous devinons plus ou moins qui est en cause dans les événements qui se produisent, mais nous ne savons pas pourquoi. L'auteur, en nous faisant avancer doucement comme sur un plateau du jeu de l'oie, nous met tout de même une belle pression.
J'ai toujours été fasciné par les secrets de famille, les vieilles affaires scellées dans une boîte hermétique enterrée à 100 mètres sous terre. Ici, il semblerait que mille boîtes soient enterrées; un vrai cimetière de morceaux de vie prêts à éclater.
La culpabilité et le regret sont des sentiments importants ici. Ne plus pouvoir faire machine arrière peut détruire plus ou moins n'importe qui.
Lorsque les masques tombent, tout devient déjà plus clair, mais aussi plus sombre. Sommes-nous toutes et tous cachés derrière un masque durant notre vie? C'est une question intéressante qui m'a tracassée un bon moment lorsque j'évoluais dans ce roman. Je me suis mis d'accord sur une réponse, la mienne, donc je la garderai pour moi.
Au final, des personnages impeccables, une intrigue trop banale et un dénouement qui, à mon sens, manque de finesse.
Bonne lecture.