Interview de Joseph Incardona
"Ecrire est pour moi une maladie, explorer différents types d’écriture est un moyen de ne pas épuiser un seul et même terrain, en l’occurrence celui du roman, et de le garder en friche quelques temps..."
Voici les quelques mots que j'ai eu la chance d'échanger avec l'écrivain Joseph Incardona, auteur du nouveau roman "220 Volts". Le titre du roman dépeint terriblement bien l'état d'esprit dans lequel vous vous trouvez en lisant ce livre... Merci à Joseph Incardona. Merci pour son humilité.
Paco : Joseph Incardona, vous êtes de nationalité Suisse (grande qualité ;-) ), mais sinon, pouvez-vous vous présenter en quelques mots ? Quel a été votre parcours avant l’écriture ? Joseph Incardona : j’ai publié mon premier roman (Le cul entre deux chaises) en 2002. J’ai commencé à écrire sérieusement (c’est-à-dire assidûment) à partir de 1997, je crois. Il n’existe pas d’école pour les écrivains, on est très seuls, on glane des infos, des « trucs » ici ou là. L’unique façon d’espérer y arriver est d’écrire et écrire encore. Pour cela, il faut du temps. J’ai renoncé à des opportunités professionnelles (qui pour moi ne l’étaient pas, du coup) pour pouvoir avoir du temps d’écriture : ont commencé alors les « petits boulots » temporaires. Mais avant ça, j’ai terminé l’université (j’ai fait Sciences Po) et j’ai commencé avec le journalisme, mes articles étaient toujours repris par le rédacteur en chef, et c’est alors que j’ai compris que ce qui m’intéressait était de raconter des histoires, non pas de relater des faits, transmettre de l’information ou donner une opinion. Pour moi l’écriture est liée à la fiction. Aujourd’hui, je vis essentiellement à travers l’écriture, au sens large. Au-delà de mon travail de romancier, cela inclut des ateliers, des rencontres, de stables rondes, des nouvelles pour des revues… Paco : En ce qui vous concerne, être écrivain, c’est inné, une vocation, ou alors une grande part d’apprentissage ? Joseph Incardona : surtout du travail, beaucoup de travail. Comme dans n’importe quel domaine. Mais comme toute chose, je pense qu’il faut avoir une prédisposition pour l’activité précise à laquelle on va se consacrer, peut-être durant une vie entière. Ainsi, le travail devient plaisir et on ne rechigne pas devant l’effort. Les sacrifices, les angoisses passent au second plan. C’est peut-être ce que signifie « se réaliser » en tant qu’individu, être la bonne personne au bon endroit. Paco : J’ai remarqué que vous œuvrez dans pas mal de domaines, c’est le moins que je puisse dire. Vous vous intéressez comme ça à tout ? Vous avez des journées qui ne ressemblent pas aux nôtres, genre 50 heures ? Joseph Incardona : des journées tout à fait vivables. L’important est de préserver le maximum de temps pour faire ce que l’on aime. C’est une lutte de tous les instants, le nerf de la guerre. Cela dit, après 3 ou 4 heures devant mon ordinateur, je ne suis plus bon à rien pour ce qui est d’écrire. Je touche plusieurs domaines car j’aime diversifier le type d’écriture et les expériences. Mais ça va par périodes, en fonction des opportunités aussi. Et puis, faut manger. Mais quand j’ai écrit du théâtre, je n’ai fait que ça. Ecrire est pour moi une maladie, explorer différents types d’écriture est un moyen de ne pas épuiser un seul et même terrain, en l’occurrence celui du roman, et de le garder en friche quelques temps. Cela dit, le domaine d’écriture reflète essentiellement une manière de dire quelque chose avec un genre particulier et la forme qui va avec. Par exemple, ce que j’ai écrit avec 37m2 (une pièce « politique », donc, qui raconte le huis-clos d’un président enlevé par un couple de mercenaires complètement barges, façon Natural Born Killers)) je n’aurais pas su le dire dans un roman. Chaque genre donne la possibilité d’exprimer quelque chose de façon unique. Cela dit, j’ai levé le pied et j’ai mis de côté la BD, par exemple. Je reviendrai au théâtre plus tard. J’ai une nouvelle proposition, mais pas assez de temps pour la réaliser. C’est également une histoire de rencontres, de plaisir de travailler en collectif et de briser parfois la solitude de l’écriture, de partager un projet. Mais bon, la littérature, le polar plus exactement puisque j’ai trouvé mon genre de prédilection, reste le pilier central de mon travail, le véritable socle sur lequel je peux construire le reste. Je suis avant tout écrivain de polars, c’est sûr. Paco : Allez-vous toucher encore à d’autres domaines dans un avenir proche ? Projets ? Joseph Incardona : il y a le cinéma, l’art total par excellence, le K2 de la création pour tout ce qu’implique la réalisation d’un film. C’est un défi, j’espère être à la hauteur. Avec Cyril Bron (et après quatre expériences de courts métrages), nous co-réaliserons un long métrage l’an prochain : « Milky Way ». Notre producteur vient de recevoir le feu vert de l’OFC à Berne. On est sur les starting-blocks : énormément de travail, énormément de plaisir. L’angoisse et l’excitation, le doute et l’envie de se dépasser. En fait, en vous répondant, je me dis que je suis un peu comme un alpiniste ou un marin. Le danger de risquer sa vie en moins, ce qui n’est pas négligeable. Les alpinistes de l’extrême et les marins sont un cran au-dessus. Paco : Dans vos romans, le côté « Noir » est largement mis en évidence, surtout depuis « Remington ». On s’en rend d’ailleurs bien compte aussi en lisant « 220 Volts ». C’est ce que vous maîtrisez le mieux ? Ca vous parle ? C’est la meilleure façon de décrire, à vos yeux, le monde qui nous entoure ? Peut-être même un phénomène de société… Joseph Incardona : j’associe volontiers le roman noir au roman social. À travers le destin singulier d’un ou plusieurs personnages, j’aime m’intéresser au monde contemporain, savoir se qui se cache derrière les apparences. Le noir est profondément politique, dans le sens où il constate, fait un état des lieux de notre société quand il ne dénonce carrément pas ses travers. Paco : Dans plusieurs de vos romans, le personnage principal est un écrivain. Quelque chose d’autobiographique qui se cache quelque part ? Joseph Incardona : les thèmes sont ceux qu’ont ressasse inévitablement depuis des siècles : l’amour, la mort, l’amitié, la trahison… On varie sur le même thème, nous sommes prisonniers de notre condition humaine. En revanche, c’est vrai que je suis assez proche des thèmes liés à la tragédie. Mais pas seulement : à travers mes livres, je parle aussi d’écriture. Beaucoup, en fait. L’écriture est toujours un problème à résoudre, comme la vie. « Remington », « Lonely Betty » ou « 220 Volts » sont trois versants du rapport écrivain/écriture. Je m’arrêterai là, d’ailleurs. Le prochain livre parle d’un manager… Paco : Pour revenir à « 220 Volts », votre dernier roman, Ramon Hill part s’isoler à la montagne avec sa femme Margot, afin de retrouver son inspiration et pour tenter de la retrouver, elle aussi. Ensuite, à travers le récit de Ramon, on s’engouffre dans une belle descente aux enfers… Où trouvez-vous la votre d’inspiration ? Où allez-vous la chercher ? (Là je suis en train de penser aux porcs, dans un enclos, sur un flanc de montagne… ) Joseph Incardona : l’inspiration est un grand mystère. Pour ce que j’en sais, c’est une sorte de déformation professionnelle. J’observe, je pense, réfléchis. Et puis, comme pour les comédiens à l’école de Stanisawski, je me dis : « Et si… ? ». Et si dans telle situation, il arrivait cela ? Et si tout d’un coup… ? Etc. Ce qui m’intéresse fondamentalement, c’est de prendre un personnage commun et de créer un déséquilibre dans son quotidien. C’est l’impulsion de départ. Que va-t-il se passer ensuite ? Imaginez que vous soyez somnambule (je le suis) : et si vous étrangliez votre femme durant votre sommeil ? Voilà le point de départ de « 220 Volts ». Paco : Durant vos journées de 50 heures (j’ai décidé que c’était 50), combien de temps consacrez-vous pour l’écriture d’un roman ? C’est l’isolement total durant un certain temps ? Joseph Incardona : non, je ne m’isole pas. J’écris chez moi, il arrive à mon fils de trois ans de jouer dans la même pièce où j’écris. Par contre, il m’arrive aussi de m’isoler si je suis coincé. Mais en général, je ne me coupe pas de la vie, du « réel ». Par contre, je suis constant. La constance est nécessaire pour maîtriser tant soit peu un art, un sport ou quoi que ce soit d’autre. Pour un roman, compter un an à raison de 2 à 3 heures par jour. Paco : Lorsque vous démarrez un roman, tout est déjà dans votre tête de A à Z ? Le dénouement est déjà établi ? Ou alors vous vous laissez une certaine liberté en cours de route. Joseph Incardona : liberté en cours de route. Je sais en général où je veux aller mais pas vraiment par quel chemin. Cela dit, je travaille de plus en plus sur des lieux, des domaines, je fais davantage de « repérages » en amont. C’est le cas pour mes prochains livres. Paco : Avez-vous désormais trouvé votre style ? À présent, c’est du Noir à tout jamais ? Joseph Incardona : à chaque nouveau livre, j’essaie de prendre un axe particulier dans la forme pour traiter un sujet. Avec « Remington », on était dans le roman « social » et la tragédie pure, avec une écriture sèche et minimaliste, reflet de l’introversion de son personnage. « Lonely Betty », c’est le pastiche foisonnant et plus baroque, « 220 Volts », le thriller de facture plus classique… Mais bon, en France on catégorise facilement : la Noire, la Blanche, l’Autofiction… Vous vous asseyez et vous écrivez un livre, voilà tout. Paco : Dans votre cœur, êtes-vous suisse, français ou italien ? Où vous sentez-vous « à la maison » ? Joseph Incardona : les trois à la fois, tout me nourrit. Je pourrais ajouter d’autres cultures ou pays dans lesquels je me sens chez moi. Mais il m’arrive aussi de ne me sentir nulle part chez moi, toujours en train de guetter l’ailleurs, de vouloir être « là-bas »… Quoi qu’il en soit, j’ai aussi compris que l’écriture est un territoire à part entière. Par l’écriture, j’entends l’imagination, la fantaisie. C’est mon centre à moi, ma verticalité pour ne pas me perdre. Paco : un mot sur votre prochain roman? Thriller, tragédie, psychose, folie. Du très Noir ? Une aventure en Suisse romande peut-être, genre des vaches cannibales sur l’alpage fribourgeois ;-) ? Allez… dites-le… Joseph Incardona : tout ça à la fois. Du salement noir. Mon personnage est terrifiant : sexiste, xénophobe, veule, lâche, schizophrène… Sinon, il y aura bien quelque chose en lien avec la Suisse, en effet : un Poulpe qui se passera à Genève… |