Les Effacées - Bernard Minier
Les Effacées
Bernard Minier
XO Editions / 2024
410 pages
Nous avons ici l’honneur de retrouver Lucia Guerrero, de la Guardia Civil, la police nationale espagnole. Vous l’avez déjà côtoyée si vous avez lu « Lucia », sorti en 2022.
Vous aurez également l’occasion de renouer contact avec un protagoniste que vous avez souvent croisé dans les récits de l’auteur, un personnage froid, inquiétant, ambigu et sinistre : le décor. Une pluie diluvienne, qui ruissellera continuellement sur vous, éclaboussera toutes les pages de ce bouquin, et une brume coriace et persistante vous contraindra certainement à plisser les yeux pour y voir un peu plus clair. Ce récit est une ambiance, mais pas seulement …
Deux tueurs. Un en Galice, qui séquestre et tue des jeunes femmes, et un autre vers Madrid, qui assassine uniquement des riches. Au centre, Lucia, qui devra composer avec cette équation à deux inconnus.
Tenter de résoudre cette formule - loin d’être magique ! - contraindra Lucia à mettre tous ses talents de flic, mais aussi - et surtout ! - sa propre résistance sur une balance dont les plateaux vont dangereusement tanguer des deux côtés. Cet équilibre, mesuré au gramme près, demeurera plutôt précaire ! Des choix devront être faits.
La notion d'équilibre sera d’ailleurs mise ici en avant, notamment en fonction des couches sociales.
Quel récit ! L’auteur met en lumière des gens de l’ombre, des ouvrières qui mériteraient bien plus d’estime au sein de cette société. Il place également au-devant de la scène des privilégiés qui se pavanent en pleine lumière - les riches ! -, qui mériteraient, eux, peut-être d’aller à l’ombre !
Toutes ces personnes, qui représentent un peu les deux extrémités d’une société pas vraiment réglo au niveau de l’égalité, seront également mises en lumière par des assassins. Vous verrez, c’est assez fascinant.
Bernard Minier, par cette intrigue au rythme soutenu, projette à l’écran des crimes aux motivations troublantes et surprenantes. La visibilité y joue un grand rôle, au sein d’une société instantanée où l’information va trop vite, trop loin, partout, à l’excès, à l’extrême. Cependant, l’ombre et la lumière – deux enquêtes - vont tout de même se voler la vedette bien quelques fois, ceci au gré des chapitres.
L’effet de groupe sera aussi un aspect qui aura ici son importance. J’ai trouvé ce volet intéressant. L’auteur explique plutôt bien ce phénomène, soit de tout foutre en l’air, s’insurger, se révolter, sans vraiment savoir pourquoi, au sein d’une société irrationnelle qui ne suit plus vraiment une grande logique. Tout a tendance à s’inverser, les rôles, les responsabilités, où le bon sens n'existe plus vraiment. Un monde à l’envers …
J’ai aimé la puissance des personnages, notamment pour Lucia qui dégage beaucoup d’émotion. Un puissant caractère avec de la fragilité. Ou alors une grande vulnérabilité avec un grand courage. Pas toujours facile à trancher …
Nous approcherons aussi le milieu de l’art - apparemment cher à l’auteur -, mais un art qui est vraiment dégueulasse, choquant, infect. Les sources de ce volet-là, vous pourrez d’ailleurs aller vérifier, ne sont de loin pas une fiction.
Tout ceci vous emmènera vers un dénouement implacable, jouissif, qui risquera bien de vous surprendre. Lucia, je pense que nous allons la revoir. Tout n’est pas encore réglé …
A lire.