Aliss, Patrick Senécal

Publié le par Pascal K.

Aliss
Patrick Senécal

Éditions Fleuve noir / 2017
556 pages

Décider d’ouvrir un bouquin de cet auteur canadien est déjà accepter le fait de basculer dans l’horreur absolu. Patrick Senécal choque, déstabilise, brise les conventions, la morale, et écrit sans aucun filtre, mais jamais gratuitement.

Ici, Alice, jeune fille intelligente, fonceuse, curieuse, mais bien trop à l’étroit dans un monde qu’elle aime mais qui l’étouffe, décide, le jour de ses 18 ans, de quitter le cocon familial pour s’installer à Montréal. Un besoin d’aventure, d’évasion, mais surtout d’appréhender d’autres horizons. La monotonie, les lignes droites et pures déjà tracées ne l’intéressent pas. Alice est sans doute un peu naïve mais peut-être pas si sage ... 

L’auteur nous présente une Alice qui parait bien trop petite pour une si grande ville, comme si celle-ci s’apprêtait à la bouffer à chaque coin de rue. C’est du moins ce que nous fera ressentir Patrick Senécal, toujours avec un peu plus d’intensité. Mais Alice est forte, elle peut s’adapter, changer. Vraiment ? Mais changer quoi, au fait ?

Telle une « Alice au pays des merveilles un peu crédule », notre héroïne va rapidement se bruler les ailes. La curiosité ou même la tentation vont-t-elles l’emporter sur la sagesse ou la méfiance ? 

Patrick Senécal nous dépose au milieu d'un quartier dont l’immoralité et l’obscénité semblent être l’essence-même des lieux. Notre jeune héroïne vous fera cruellement penser à un insecte cognant inlassablement contre une source d’éclairage à s’en faire éclater la tête. Une source lumineuse, un peu plus intense que les autres, va paradoxalement la faire dégringoler vers le noir absolu, peut-être même vers l’irrationnel. « Alice au pays des merveilles » … Les références liées à cette histoire de Lewis Carroll ne manquent pas ici. 

Ce conte pour fêlés est d’une violence inouïe. La perversité est si extrême et constante qu’elle flirte avec la normalité. C’est d’ailleurs - peut-être ! - là que veut en venir l’auteur avec ce récit qui rend les barrières de la perversion et de l’indécence bien fragiles.

Patrick Senécal pousse jusqu’au paroxysme l’esprit de la débauche et de la dépravation. L’immoralité devient ici une idéologie basée sur le sadisme, l’insensibilité et peut-être même sur une notion décalée de liberté.

Les quelques touches d’humour – parfois presque enfantines ! – associées à cette noirceur absolue ont de quoi déstabiliser le lecteur. Ces instants de légèreté donnent un ton paradoxalement glauque et sordide.

J’ai mentionné au début de cette chronique que l’auteur ne donnait jamais dans la violence gratuite et, là encore, cela se confirme. La moralité de ce « conte », aussi inconvenant que choquant, vous paraitra certainement très sensée et ô combien pertinente. L’essence-même de ce récit nous pousse à nous faire quelques réflexions intéressantes sur l’approche que nous pourrions avoir face à nous-même, sur notre façon de vivre et, surtout, sur notre « capacité à être qui on est ». Très subtil.


Bonne lecture et bon courage.  

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