De soleil et de sang, Jérôme Loubry
De soleil et de sang
Jérôme Loubry
Éditions Calmann-Levy / 2020
394 pages
A mes yeux, l'évolution de la qualité des bouquins de Jérôme Loubry est allée crescendo vers le meilleur, notamment au niveau de l’écriture, de la maitrise du rythme ou encore de la finesse de l’intrigue. La trame de « Les refuges » m’avait carrément déstabilisé. Tout cela pour en arriver au constat suivant : la barre est toujours plus haute !
L’auteur a-t-il réussi à me bousculer aussi violemment que dans son précédent roman ? La réponse est non. L’intrigue qu’il déroule dans « Les refuges » est pour moi, jusqu’à présent, inégalable. Par contre, la maîtrise de l’écriture de ce récit ainsi que sa profondeur - sa noirceur ! - sont des aspects qui m’ont heurté et touché.
Haïti. Un pays où une masse importante de pauvres tentent de survivre dans un effroyable bourbier, alors que quelques riches, dans les beaux quartiers, profitent du système pour vivre dans l’opulence. Constat aussi triste que réel ... Dans cet État qui chancèle encore sous les réminiscences d’une ancienne dictature familiale, c’est le crack davantage que la joie qui fait briller les yeux des enfants. C’est violent, désespérant.
C’est pourtant dans un quartier de riches que la police va découvrir, à quelques jours d’intervalles, les cadavres de deux couples de blancs, sauvagement mutilés dans leur chambre à coucher. Simon Bélage, flic de 60 ans, encore mystérieusement pétri d’idéaux en dépit de la corruption, va saisir cette affaire d’assassinats à bras le corps.
Les enfants, justement, vont être à l’honneur dans ce récit. L’honneur d’être les victimes d’une abomination qui perdure dans ce pays depuis des lustres. Ici, tout se vend et tout s’achète : l’Etat, la pauvreté et même les gosses, surtout les gosses !
Entre graissages de pattes, abus de pouvoir et accords douteux, des orphelinats, aussi pourris que cruels, ont poussé comme de la mauvaise herbe sur cette île des Grandes Antilles.
L’auteur nous imprègne de toute cette horreur liée à une civilisation désœuvrée, maudite et malchanceuse, avec un récit dur où rites et croyances vaudous se mêlent à la vengeance la plus froide.
C’est en allant fouiller dans le passé que nous allons comprendre ce qui se passe aujourd’hui. Muni d’une pioche aux arêtes plutôt acérées, Jérôme Loubry va frapper avec rage contre la caillasse de cette île désespérante et creuser un trou bien profond d’où vont s’échapper des odeurs nauséabondes et dérangeantes. Il y a pas mal de probabilité que le passé revienne nous cogner dans la gueule lorsqu’on y a laissé des traces douteuses et indélébiles !
Une « signature » propre à l’auteur, que j’avais pu observer dans « Les refuges » et que je retrouve ici, c’est le fait de laisser le lecteur se faire complètement absorber par un lieu aussi ambigu que troublant, qui nous rend immédiatement mal à l’aise. Ici, c’est un orphelinat qui jouera ce rôle déstabilisant, « La tombe joyeuse ».
Autant vous dire que l’auteur écarte toutes les barrières qui nous séparent de l’horreur absolu. Notre monde, tellement infect et parfois malsain, nous donne carrément la nausée. Cette île, depuis laquelle nous aurons bien le temps d’observer et ressentir toute cette cruauté, est un puissant piège à ciel ouvert, regroupant les pulsions les plus viles !
Tout s’achète, même l’impunité ! A lire.
Bonne lecture.