"Reflex", de Maud Mayeras
Reflex
Maud Mayeras
Editions Anne Carrière / 2013
476 pages
Second roman de Maud Mayeras, 7 ans après le premier, "Hématome". Premier constat: le cadre général n'a pas changé, c'est toujours aussi sombre, froid alarmiste et dur. Pessimiste? Négatif? Presque chaque chapitre débute par les termes "Je n'aime pas..."
Par contre, au niveau de l'écriture, j'ai pu remarquer une certaine maturité, l'auteur semble être plus sûre et plus à l'aise dans sa manière d'écrire. C'est plus profond, plus consistant. Bref, le style s'est pour moi bien amélioré entre les deux romans.
L'enfant est à l'honneur dans ce thriller, pour ne pas dire au déshonneur. Il y joue le mauvais rôle, ou plutôt il ne joue pas du tout. L'auteure nous dresse une verticale d'horreur liée à l'enfance, une géométrie macabre.
Les personnages sont décrits en profondeur, en détail, notamment celui d'Iris Baudry, le personnage central. L'auteur prend le temps pour bien nous la présenter, pour le meilleur et surtout pour le pire. Iris Baudry est une personne qui va mal, qui porte sur son dos frêle un sac rempli de vieux démons, une fille qui semble en avoir bavé toute sa vie. Cet aspect dur et écœurant est omniprésent dans cette histoire, comme un voile noir qui survole en permanence le dessus de notre tête. C'est gênant. Enfin, un voile... Non, plutôt une chape de plomb, bien humide, qui dégouline de haine, de peur et de cruauté.
Ce personnage, antisocial, façonné et calibré par une mère atrocement haineuse, m'a énormément intrigué. Au final, je comprends pourquoi.
Iris Baudry est photographe. Munie de son appareil photo, elle enchaîne les scènes de crimes pour immortaliser tous les détails qui s'y trouvent. Cette femme bègue, timide et déterminée bosse pour l'identité judiciaire.
La scène de crime sur laquelle elle se rend ici sera peut-être celle de trop. Un enfant est retrouvé assassiné sur une ancienne voie de chemin de fer, torturé de la même manière que son fils, il y a 11 ans en arrière. Ou du moins, c'est ce qu'elle pense.
Parallèlement, nous allons voir un peu ce qui se trame dans le passé. Notre passage dans ce début du XXème siècle commencera au terme de la 1ère guerre mondiale, puis nous progresserons de générations en générations. L'auteure nous présente une jeune ado qui va subir une double agression. La première, sexuelle. Les soldats alliés sont venus libérer la France et se sont octroyés, visiblement, une petite récompense. Écœurant. La seconde agression sera familiale. Je ne rentre pas dans les détails, mais je relève tout de même le fait que c'est encore plus abject et humiliant que le viol en lui-même. Belle époque!
Nous naviguerons entre les deux périodes, avec un dénominateur commun: la région, avec son pensionnat pour jeunes filles "indignes" pour l'une des époques, et son asile de "fous" pour l'autre, notamment. Un second point commun sera peut-être aussi le lien familial, dans tous ses états.
L'auteure tire donc deux lignes, d'abord parallèles, mais qui - forcément -, vont s'approcher puis se toucher. Une ligne qui représente le début du XXème siècle et l'autre qui trace notre propre époque. Deux destins, deux jeunes filles qui ont subi le mal "de l'intérieur". Mais nous suivrons aussi une autre jeune fille, Lucie, née en 1920, une "bâtarde" issue d'un orphelinat religieux, un spectre qui ne fait qu'un avec la pierre, les murs, l'ensemble de l'établissement. Et puis, nous allons encore descendre un peu dans la descendance...
Nous allons passer d'une époque à l'autre, chapitres après chapitres, en effectuant des bons en avant puis en arrière, jusqu'à atteindre ce point de rencontre temporel. Ce lien, pour le lecteur, se fera en août 1957.
Maud Mayeras touche un point important de notre vie, un aspect essentiel pour pouvoir garder et conserver nos repères: la famille. Ce que nous raconte l'auteure à travers ces deux époques fait assez froid dans le dos. Ces faits relatés, non fictifs, tout ce qu'il y a de plus réels, atteignent notre être assez violemment étant donné qu’ils brisent justement ces repères que nous avons - normalement - tous besoin pour vivre décemment.
Et il y a ces enlèvements d'enfants, ces meurtres, cette enquête que nous suivons aux côtés de la photographe. Je ne vais pas en dire plus à ce sujet, cela serait trop en dire.
L'être humain est complexe, sensible et peut devenir extrême, imprévisible et sans limite lorsqu'on l'expose à des situations extrêmes. Maud Mayeras nous donne un exemple concret de ce constat avec ce thriller, et surtout avec son dénouement.
Bonne lecture.