LËD, de Caryl Férey
LËD
Caryl Férey
Éditions Les Arènes / 2021
524 pages
Bienvenue à Norilsk, en Sibérie, peut-être l’une des villes les plus polluées au monde. Si cela ne vous décourage pas encore de venir y faire un petit tour, j’ajouterais que c’est sans doute aussi l’une des plus glaciale ! Les premières pages de ce thriller vous glacent le sang et vous donne froid dans le dos, ceci dans le sens propre du terme.
L’auteur, après avoir tiré un rideau aussi usé que pétrifié, nous dévoile une scène désespérante, quasi vide, un décor affligeant, décourageant et une ambiance terne et glaciale. Le manque d’expression de cette ville minière donne presque le vertige, voire la nausée.
Un cadavre congelé - évidemment ... - est retrouvé dans les décombres d’un toit d’immeuble, suite à une tempête qui a traversé la ville. Un flic « standard », pas spécialement reconnu comme étant bon ou efficace, mais honnête et droit, va mener l’enquête. Être « honnête » et « droit » peut vous paraître ordinaire, mais pas ici. Un flic « normal », dans cette région, c’est un flic corrompu qui bosse à la solde d’une hiérarchie pourrie qui, elle-même, obéit à un pouvoir très loyal envers tout ce qui rapporte du fric ...
Bref, personne ne sait qui est cet homme mort mais, ce qui est sûr, c’est qu’il a été victime d’un crime, et il ne sera pas le dernier. Notre flic intègre, à ses dépens, va mettre les pieds dans un sacré merdier et il sera très difficile de savoir à qui faire confiance dans cet amas de fientes corrompues.
L’auteur, avec une bonne part d’observations et comptes-rendus historiques – sa spécialité ! -, nous dévoile ce qu’est la Sibérie de l’est et comment on y survit. Simplement y vivre relève carrément de l’utopie, voire de l’impossible. J’ai aimé ce récit qui a l’avantage de dégager une atmosphère peu connue et qui s’ancre dans un contexte franchement désespérant. Une triste réalité.
Nous évoluons auprès de jeunes de la région, mineurs pour la plupart, qui sont sans doute nés au mauvais endroit, dans un no man’s land sinistre, destructeur et nocif. Faire semblant d’être heureux, sans pour autant en être persuadé, boire de l’alcool à moitié frelaté dans un bar rock n’roll jusqu’à plus soif ou se battre comme au temps des Cosaques et se faire démonter la gueule, pour le fun, restera encore ce qu’il y a de mieux à faire pour croire en la vie, et encore. L’auteur nous brosse le portrait d’un pays qui va mal et qui déraille depuis belle lurette.
Depuis belle lurette ? C’est même certain. L’auteur traite ici notamment des camps de prisonniers soumis au travail forcé, à l’instar de Norillag, un goulag à Norilsk créé dans les années 30 et fermé en 1957. Ces camps avaient l’avantage de fournir de la main-d’œuvre gratuite pour le travail de la mine et le secteur de la métallurgie. De l’esclavage sur des citoyens qui avaient eu le malheur de commettre « des crimes » tels que ne pas être en phase avec le régime en place !
Caryl Férey nous emmènera donc dans ce passé plus que douteux pour mieux nous faire comprendre le présent. Il pousse ici le lecteur sur une surface bien glissante et il sera bien difficile de freiner avant d’atteindre un dénouement que vous risquez de recevoir en pleine face si vous n’êtes pas sur vos gardes.
Les stigmates du passé sont très présents entre ces lignes lourdes de sens, pénibles à supporter. Ce récit, très dense, raconte et dénonce non pas seulement un passé, mais aussi un présent incertain, sinistre et préoccupant. Mais lorsque l’on vit ici, en principe, c’est pour toujours. Alors, autant essayer d’y survivre au mieux.
Je retiendrai également cette grande maîtrise d’écriture qui donne un bel élan à ce récit.
Bonne lecture.