"Tropique du Cancer", de Henry Miller
Tropique du Cancer
Henry Miller
Editions Folio
Je commence par une introduction frappante de l'oeuvre par l'auteur, qui en dit long sur ce qui nous attend
"Je n'ai pas d'argent, pas de ressources, pas d'espérances. Je suis le plus heureux des hommes au monde. Il y a un an, il y a six mois, je pensais que j'étais un artiste. Je n'y pense plus, je suis! Tout ce qui était littérature s'est détaché de moi. Plus de livres à écrire, Dieu merci! Et celui-là alors? Ce n'est pas un livre. C'est un libelle, c'est de la diffamation, de la calomnie. Ce n'est pas un livre au sens ordinaire du mot. Non! C'est une insulte démesurée, un crachat à la face de l'Art, un coup de pied dans le cul de Dieu, à l'Homme, au Destin, au Temps, à la Beauté, à l'Amour! ... à ce que vous voudrez. Je m'en vais chanter pour vous, chanter en détonnant un peu peut-être, mais chanter. Je chanterai pendant que vous crèverez, je danserai sur votre ignoble cadavre..." Henry Miller
Un mot sur l'auteur ne sera pas de trop non plus pour comprendre ce roman totalement hors norme, façonné de pensées décousues d'un homme anticonformiste, complètement révolté et atypique, voir inclassable.
Henry Miller est un romancier américain né en 1891 à New-York. Il s'est éteint le 7 juin 1980 en Californie. Ses oeuvres sont largement autobiographiques, dont le style cru et choquant a suscité une série de controverses dans une Amérique puritaine. La jeunesse de Miller est marquée par l'errance; enchainement de petits boulots, brèves études. En 1924, il abandonne tout et décide de se consacrer à la littérature.
En 1928, délaissant femme et enfant, il se rend en Europe et s'installe en France jusqu'à la Seconde Guerre mondiale. Il vit misérablement, dort dans la rue, lutte contre le froid et la faim. Mais comme il le dit sur plusieurs supports que j'ai parcourus, c'est comme cela qu'il se sent heureux et surtout libre.
Ce roman "Tropique du Cancer", publié en 1934, entraînera aux Etats-Unis des procès pour obscénité, selon les lois contre la pornographie en vigueur à l'époque. En 1964, la Cour Suprême casse le jugement de la Cour d'Etat en affirmant la valeur littéraire de l'oeuvre de Miller. Ce choix de l'auteur de lutter contre le puritanisme fit beaucoup pour libérer les tabous sexuels dans la littérature américaine, à la fois d'un point de vue moral, social et légal. Il continuera à écrire des romans, tous censurés aux Etats-Unis pour obscénité.
Mon avis sur cette oeuvre
Un conseil de lecteur, il faut s'accrocher! Approcher et aborder pour la première fois un roman d'Henry Miller demande à mon sens un peu de concentration et une largeur d'esprit malléable. Si vous voulez faire connaissance avec l'une de ses oeuvres, mettez de côté votre esprit cartésien et oubliez votre caractère rationnel!
Je m'y suis lancé car je voulais absolument approcher ce classique de littérature dite étonnante et fascinante. Ce "roman" sans style précis est totalement impossible à classer, à définir. L'auteur nous emmène dans son antre malsain, dur et choquant. Henry Miller enchaîne les mots, avec adresse, mais sans réellement suivre un fil rouge. Une série de mots, de phrases, de paragraphes pour exprimer son quotidien dans un Paris qu'il découvre. Henry Miller s'est lancé le défit de ne rien corriger, ne rien supprimer et de laisser couler sa plume. C'est remarquablement difficile à suivre.
Le narrateur - l'auteur - débarque à Paris en laissant derrière lui sa vie américaine. Sans le sou, d'une chambre d'hôtel à une autre, Henry Miller nous dévoile de quelle manière il gère son quotidien dans la capitale française, tout en nous livrant sa façon de voir le monde. Il vivra au dépend des autres, profitant de la charité des amis qu'il rencontre, sans pour autant être envahissant.
C'est un peu sa façon de voir les choses, vivre au jour le jour. Si quelqu'un veut bien l'aider à pouvoir manger, avoir un endroit où dormir ou à obtenir un peu d'argent, tant mieux, le cas échéant, il se débrouillera autrement. Il trouvera quelques petits boulots pour gagner un peu d'argent, afin de pouvoir se taper des "grues" et se remplir un peu la panse.
Des prostituées... Henry Miller nous parle de ces femmes de joie à profusion! Celle qui fait son travail remarquablement, sans état d'âme, en passant par celle qui bosse avec trop de sentiments, trop de tendresse - et mon Dieu que ça gâche tout pour lui! Henry Miller peut nous parler du vagin d'une prostituée en remplissant plus de dix pages de son roman! Descriptions, précisions, analyses...
Franchement, lorsque je lis un bouquin j'attends autre chose qu'une description d'un organe génital... Et pourtant, je dois dire que son roman tourne beaucoup autour de ce sujet, trop à mon goût. A en attraper "la chaude-pisse", comme presque tous les personnages de ce livre. Si le lecteur suit les réflexions et le parcours de l'auteur dans la capital, il découvrira un Paris malsain et pervers. Comme les femmes décrites dans ce roman - des tas de viande - et pas que les "grues"...
Pour apprécier ce roman, il faut que le lecteur garde les passages qu'il a aimés et oublie le reste. Pour ma part, j'ai rapidement laissé une bonne partie de l'oeuvre derrière moi pour la simple et bonne raison que je n'ai rien compris! Et je soupçonne Henry Miller de n'avoir lui-même pas tout à fait saisi ce qu'il voulait parfois nous dire. J'exagère un peu bien entendu, mais est-ce qu'il n'a tout simplement pas réussi à faire passer son message?
Henry Miller part subitement - sans nous prévenir! - dans des délires hors du commun. Des pensées profondes, des réflexions complexes sur le monde qu'il perçoit d'une manière pessimiste, remplies de métaphores et d'analogies. On perd le fil, obligatoirement, pas possible autrement. L'expression "sauter du coq à l'âne" prend toute sa valeur dans ce livre. Henry Miller nous décrit une scène, une rencontre, et tout à coup, il nous kidnappe et nous emmène dans son imagination, ses rêveries les plus saugrenues, les plus abracadabrantes et loufoques. Un personnage complexe, dur à cerner, déroutant. Il se qualifie lui-même d'inhumain. Et oui, rester humain c'est passer à côté de beaucoup de choses. Je vous laisse méditer et comprendre comme vous voulez.
Si j'ai aimé? Je crois bien que non. J'ai apprécié les rencontres de Miller, sa façon de nous les présenter. Les dialogues. J'ai aimé certains personnages, ces hommes et ces femmes qui vivent dans un Paris complètement différent qu'aujourd'hui.
J'ai aimé son style d'écriture, bien que sibyllin, lorsqu'il ne nous attire pas dans ses délires excentriques. Mais j'ai détesté ces trop nombreuses ruptures abstraites - poétiques? - qui à mon sens donnent un aspect très négatif de l'oeuvre. Je n'ai pas aimé ces parties de jambes en l'air, décrites d'une manière répugnante, abjecte et méprisable. Un chef-d'oeuvre? Pas à mes yeux, désolé.