Lorsque la réalité dépasse largement la fiction
"Une partie de moi-même se sent coupable de leur misère, savoir qu'ils éprouvent de la colère à mon égard rend les choses encore plus difficile. C'est mon côté humain. En même temps, le professionnel que je suis, le côté "sous-officier" de mon cerveau, n'en a strictement rien à foutre de ce que mes hommes peuvent ressentir. Ce conflit intérieur ne dure généralement pas très longtemps. La dimension "sous-officier" pulvérise allégrement toutes ces conneries de dimension humaine. Seule la mission compte."
Propos du sgt-chef David Bellavia, vis-à-vis de ces hommes qui progressent dans des circonstances abominables pour réussir une mission décisive en Irak.
FALLOUJA!
David Bellavia
Le récit débute le 9 avril 2004, dans la ville de Muqdadiyah, dans la province de Diyala, en Irak, quelques mois avant le combat de Fallouja. Le groupe du sgt chef Bellavia et le groupe du sgt chef Fitts sont pris dans une embuscade tendue par les insurgés. Un combat de localité sanglant durant lequel hommes, femmes, enfants, très jeunes enfants même, vont périr, déchiquetés sous les balles. Les atrocités de la guerre d'Irak sont présentées dès les premières pages et le style du récit présenté par David Bellavia est désormais clair.
Il nous emmènera à ses côtés dans la réalité de la guerre, sans détours, sans ménagement et sans état d'âme. Aucun détail cru et sanglant, aucune image insoutenable et aucune appréciation personnelle dérangeante ne seront épargnés au lecteur. Nous savons dès lors que nous participerons jusqu'au bout à cette bataille urbaine, violente et brutale, à cet effroyable et dur combat qui s'est déroulé dans le bastion islamiste de Fallouja, près de Bagdad, au mois de novembre 2004.
David Bellavia, "acteur principal de ce combat", et chef d'un groupe d'infanterie, nous présente de quelle manière s'est déroulé cet assaut. Pour comprendre la difficulté, il faut savoir que la prise de Fallouja, c'est combattre une ville de 300'000 habitants, à soixante kilomètres de Bagdad. Prévenus à l'avance de l'offensive américaine, la plupart des habitants ont quitté la ville, mais environ 3000 combattants islamistes fanatiques ont décidé de rester, de s'y retrancher et de faire en sorte que cette cité hautement stratégique reste intouchable.
La ville est constituée de nombreuses mosquées, appréciable pour les snipers, de nombreux labyrinthes y serpentent et elle est considérablement fortifiée, minée, truffée de pièges mortels, complètement barricadée. David Bellavia et les hommes de la section d'infanterie mécanisée savent pertinemment qu'ils ne vont pas en sortir indemnes.
Mon avis:
Le récit est prenant, poignant. Les propos sont crus, durs, mais il faut bien se rendre compte qu'il s'agit d'un récit sur la guerre. Il n'y a donc pas mille manières d'expliquer la réalité. C'est un récit militaire, il y en a qui y trouveront leur compte et d'autres qui n'apprécieront pas. Pour ceux qui font partie de cette deuxième catégorie, lancez-vous tout de même pour apprécier le côté humain du récit. J'ai relevé l'esprit de camaraderie, l'esprit d'équipe, la grande proportion que prend la confiance envers l'autre. J'ai aussi été touché par ces guerriers qui sont avant tout des hommes, des gamins pour certains...
Les relations humaines sont considérablement représentées. On s'en rend d'ailleurs bien compte durant les quelques jours, les quelques heures qui restent avant la grande bataille de Fallouja. Les hommes qui entretenaient entre eux des relations difficiles, presque haineuses pour certains, sont devenus soudainement proches, confidents. Fallouja pèse sur les esprits..., "il faut être forts ensemble".
Nous sommes apparemment tous semblables face la mort. La peur et l'angoisse sont très palpables. Certains prient, certains s'isolent, certains ont besoin de discuter, d'échanger, de parler de leur famille, de leurs enfants. Quelques uns savent pertinemment qu'ils ne les reverront plus. Ils se rendent compte, durant les briefings, que l'ennemi sera puissant, entraîné, qu'ils seront confrontés à des insurgés drogués, poussés par leurs convictions religieuses, dans un secteur fort. Lors de ces moments difficiles de préparation, David Bellavia nous livre ses états d'âme, ses angoisses, ses ressentis. L'auteur nous donne également une belle leçon de fraternité durant laquelle il nous fait ressentir comme il est important de se battre avec et pour ses hommes.
Les affrontements dans les ruelles, rues et avenues de Fallouja sont très précisément rapportés. Chaque tir d'AK 47, chaque lancement de roquettes de l'AT4, toutes les cadences de tir de la mitrailleuse M240 et toutes les utilisations du RPK sont décrits scrupuleusement. Les façades des bâtiments s'effondrent, chaque porte est défoncée, chaque recoin est inspecté, des insurgés isolés tombent sous les nombreuses balles des mitrailleuses SAW. Les changements de positions, les recherches d'abris, les couvertures de feu entraînent intensément le lecteur aux côtés de ces guerriers dans ce combat de localité. Un combat de haine.
Au travers de ce récit, le lecteur ressent pleinement cette haine justement qui absorbe les deux camps. Pour les uns, descendre le plus de terroristes possible, sans état d'âme, détruire à tout prix ces djihadistes. Pour les autres, se venger de ces saletés d'Américains qui veulent envahir le monde à coups de mitrailleuses.
David Bellavia, par ses propos, nous confie qu'il éprouve tout de même une sorte de respect et de douleur envers certains insurgés qui sont tombés sous ses balles de fusil d'assaut. A retenir l'image de ces deux jeunes frères, morts, tombés dans les bras l'un de l'autre, que David Bellavia n'arrivera plus à se défaire et qui le hanteront encore bien des années plus tard.
A la fin du récit, David Bellavia nous livre ses sentiments après avoir quitté les rangs, après avoir mis un terme à sa mission de combattant. Le lecteur se rend en fait bien compte que dans sa tête, l'auteur ne quittera jamais l'armée, les combats, l'envie d'y retourner. L'amour de sa femme et de ses deux petits garçons n'arrive même plus à le combler de bonheur lui, pourtant, qui les aime réciproquement à en mourir.
Quelques part enfouie au fond de sa mémoire, il restera toujours l'image de ses hommes qui lui manquent tant, ses combats menés dans cette ville de Fallouja, où derrière chaque porte enfoncée la mort possible les attendait. Qu'est-ce qui le motivait tant? Il ne le confie pas vraiment, mais on peut tout de même s'imaginer que servir son pays, livrer bataille auprès de ses hommes et de les défendre à tout prix, détruire le "mal" , faisaient partie des ses priorités absolues.