Interview / entretien avec Franck Thilliez à propos de son nouveau roman "Puzzle"
"... Il faut aussi être son propre lecteur, rester à l’écoute de nos propres attentes pour pouvoir bâtir l’histoire… Mais j’aime bien, quand à la fin de mes livres, les lecteurs ont le cerveau retourné !"
Franck Thilliez
Un grand merci à Franck Thilliez qui m'a accordé un peu de son temps pour nous parler de son nouveau roman, intitulé "Puzzle", qui sort au mois d'octobre 2013. Un entretien qui vous permettra d'obtenir, j'espère, quelques informations intéressantes sur son prochain thriller! Bonne lecture.
Pascal Kneuss. Question de base ; es-tu satisfait de ton roman ? As-tu pu exprimer exactement ce que tu voulais ; soit, as-tu atteints le ou les objectifs que tu t’étais fixés à la base ? Peut-être davantage…
Franck Thilliez. Heureusement que j’en suis satisfait ! J’imagine mal un romancier ne pas être satisfait de ce qu’il a écrit, après un an de travail, et d’ensuite faire publier son livre. Ou alors, il ne serait pas très honnête ni avec ses lecteurs, ni avec lui-même.
En général oui, j’atteins tous les objectifs que je me fixe, puisqu’ils sont les moteurs de mon écriture. Il arrive parfois que je ne possède pas complètement mon histoire en tête avant de commencer à l’écrire mais les objectifs, eux, sont parfaitement clairs. Et je m’y tiens jusqu’à la dernière phrase de mon roman.
PK. Ce roman nous conduit dans l’univers glauque et peu rassurant du milieu psychiatrique, surtout en ce qui concerne le décor. Est-ce une ambiance qui te donne des sueurs froides ? Sentiments que tu voulais absolument transmettre à tes lecteurs ?
FT. Dans les romans à suspense/thrillers, les lieux, les « décors », sont pour moi très importants, car ils constituent en partie cette fameuse « atmosphère » que l’on attend tous de ce genre de livre. J’aime beaucoup les lieux abandonnés, les friches industrielles, les entrepôts désaffectés, car ce sont des endroits qui ont une âme, du vécu. Les sons y résonnent étrangement, nos propres pas craquent sur le verre et nous font frissonner.
Il est facile d’imaginer l’ambiance sordide qui peut régner dans un HP abandonné en pleine montagne ! C’est un lieu très parlant, je trouve, propice aux cauchemars. Exactement ce que je recherchais pour Puzzle !
PK. Le décor du « jeu » est-il le fruit de ton imagination ou est-ce que tu t’es inspiré d’un endroit existant ?
FT. Je connais bien les HP « habités », dirons-nous, je sais à quoi ça ressemble et comment ça fonctionne. Pour le décor de Puzzle, je me suis inspiré de photos et de vidéos d’hôpitaux abandonnés qu’on peut trouver sur le Net, certains d’entre eux sont particulièrement glaçants. Je voulais de surcroît un endroit isolé, coupé du monde, en pleine montagne. J’ai donc créé Swanessong, dans les Alpes, le grand complexe psychiatrique dans lequel évoluent les personnages.
PK. La barrière entre illusion et réalité n’est pas vraiment haute et facilement franchissable. As-tu voulu donner aux lecteurs, cette fois-ci, l’occasion de se perdre un peu, de laisser une bonne part d’imagination ?
FT. Oui, bien sûr, c’est d’ailleurs l’essence même du roman : qu’est-ce qui est réel ? Qu’est-ce qui ne l’est pas ? Dans mes histoires, j’aime jouer avec les croyances, les illusions, renverser les repères pour surprendre plus encore le lecteur. Un roman doit raconter une histoire, mais c’est aussi un voyage dans l’imaginaire.
PK. Scientifiquement ou médicalement parlant, le cas psychiatrique du personnage d’Ilan est-il plausible réellement ? Peut-on atteindre une rémission totale ou partielle en étant victime d’une telle « maladie » ? Surtout de la manière qui est décrite dans ton roman…
FT. On connait depuis longtemps maintenant l’incroyable pouvoir de la conscience, mais aussi de l’inconscient. En faisant des recherches dans le milieu psychiatrique, depuis quelques années maintenant, j’ai découvert des cas complètement hallucinants de « phénomènes » mentaux, de maladies, de pathologie. Certaine personnes, par exemple, sont aveugles, parce que leur esprit leur dit d’être aveugles, alors qu’elles n’ont aucune défaillance visuelle.
Je me dis qu’il n’y a pas de limite à ce qu’est capable de réaliser l’esprit humain, et je le mets en place dans certains de mes romans, dont Puzzle fait partie.
PK. Tu nous entraînes dans un jeu pervers grandeur nature, aux règles assez flippantes. Comment t’est venue cette idée ? Il me semble que c’est un peu le principe - dans les grandes lignes - de la téléréalité.
FT. Puzzle est un mélange de mes influences et du genre d’histoire que j’aime raconter. J’adore les huis-clos, qui permettent d’installer une ambiance puissante et de développer la psychologie des personnages. Puzzle débute comme un roman à ciel ouvert, pour basculer vers le huis-clos. Ensuite, j’ai, depuis longtemps déjà, essayé de réfléchir à une histoire qui serait construite comme un puzzle : on dispose de tous les éléments sous les yeux, mais on est incapable de comprendre tant qu’on n’a pas posé la dernière pièce. Et une fois celle-ci posée, on a envie de défaire et de recommencer le Puzzle, mais avec un regard différent : on connait l’image finale, et on analyse chaque petite pièce pour comprendre comment tout ceci a été fabriqué…
PK. Dans un précédent entretien, tu m’avais dit : « J’ai eu beaucoup de peurs d’enfants (le noir, l’enfermement, la mort), et je sais qu’elles sont encore là, enfouis au fond de moi-même, comme en chacun de nous. Je pense que l’écriture les fait ressortir ».
Dans ce roman-là, est-ce aussi le cas ? Une peur « enfouie » y ressort concrètement ?
FT. Il est toujours difficile, voire impossible, de s’auto analyser, mais je pense que chaque roman écrit, surtout dans le thriller, est la manifestation de peurs, d’angoisse que nous, romanciers, pourrions avoir. La mort me fait peur par exemple, et pourtant, elle est omniprésente dans mes romans, j’arrive à en parler avec un véritable détachement, à l’analyser, à l’approcher. Peut-être finalement un moyen de m’en éloigner…
PK. La mémoire, la folie, la psychiatrie. Tu nous en parles d’une manière assez concrète dans ton roman. Ce sont des domaines qui te fascinent ? Qu’as-tu entrepris pour être aussi à l’aise, aussi bien renseigné sur ces thèmes ? Bon, pour la folie, pas compliqué pour toi étant donné que tu es complètement tordu ! ;-)
FT. Haha ! C’est vrai, tout le monde me dit ça, je vais finir par le croire. Ce qui définit le genre du « polar », c’est ce dysfonctionnement qu’essaient de décrire les romanciers. Dysfonctionnement historique, politique, sociétal… Moi, je m’intéresse au dysfonctionnement de l’esprit, avec une approche plutôt scientifique : qu’est-ce qui fait qu’à un moment, le cerveau humain se met à dérailler ? Quel groupe de neurones tombe en panne ? Quel court-circuit fait trembler la machine ?
Alors oui, j’écume les hôpitaux (pas que psychiatriques), je rencontre des médecins, des spécialistes, et pas toujours forcément avec une idée de livre derrière. C’est juste parce que le sujet me passionne.
PK. Une petite question pour aider les futurs lecteurs de ton roman ; quels conseils leur donne-tu pour éviter qu’ils soient autant déboussolés que moi ?? Concrètement, as-tu jalonné ton roman, trouve-t-on des repères ? C’est assez ton genre !
FT. La difficulté est de perdre le lecteur, mais pas trop sinon il décroche et ne comprend plus rien ! Il faut donc trouver le juste équilibre, ce qui n’est pas forcément évident, puisqu’il n’y a pas de recette. C’est une question de feeling, de dosage… Il faut aussi être son propre lecteur, rester à l’écoute de nos propres attentes pour pouvoir bâtir l’histoire…
Mais j’aime bien, quand à la fin de mes livres, les lecteurs ont le cerveau retourné !
PK. Une question un peu plus générale concernant le thriller. En principe, le but serait que le lecteur s’identifie à un ou des personnages, je crois. Comment y parviens-tu personnellement ?
FT. Pour qu’un lecteur s’identifie à un personnage, il faut que ce personnage lui ressemble. Ce n’est pas une question de physique, de sexe, de corpulence, de métier. C’est une question de sentiments, d’envie de protéger, de souffrances et de joies partagées. Les bons personnages ne sont pas des super héros, ce sont des voisins, des amis, des inconnus qui vont accomplir des actes dans lesquels chacun peut se reconnaître. Des actes que l’on aimerait bien aussi réaliser sans oser le faire, par exemple…
Les lecteurs de thriller, il faut l’avouer, aiment aussi les personnages qui souffrent et galèrent. Il faut donc une bonne dose d’embûches à surmonter pour nos petits êtres de papier !
PK. Y a-t-il une question assez pertinente concernant ton roman qui pourrait être intéressante pour les futurs lecteurs de « Puzzle » ?
FT. Je cale !
PK. Merci infiniment pour cet entretien, pour le temps que tu m’as consacré. Une dernière question qui pourrait grandement intéresser tes lecteurs ; retrouve-t-on Franck et Lucie dans ton prochain roman ?
FT. Oui, ils reviendront dès l’année prochaine, avec une histoire monstrueuse que je prends beaucoup de plaisir à écrire et qui, croyez-moi, va réserver de nombreuses surprises !
PK. Bon vent pour la suite, et encore merci pour cette histoire de fous qui nous entraîne dans un décor assez particulier !
FT. Merci à toi…