"Code 93", d'Olivier Norek --- Un polar écrit par un flic
Code 93
Olivier Norek
Editions Michel Lafon / 2013
360 pages
Merci à l'auteur pour ce roman!
L'auteur de ce polar, Olivier Norek, toulousain de trente-huit ans, est flic à la PJ de Seine-Saint-Denis depuis une quinzaine d'années. Autant vous dire qu'il sait de quoi il parle. Et oui... Olivier Norek est doté d'une vision "de l'intérieur", ce qui lui permet d'exprimer et de transmettre ses ressentis de flic, de poser un cadre, un décor qui lui est connu - et réel! -, soit de transporter le lecteur, le temps d'un ouvrage, dans son univers quotidien et de nous poser dans un milieu concret pour lui; le nord-est de l'agglomération parisienne; le département de la Seine-Saint-Denis, le 93.
Un département ayant une particularité peu réjouissante; un taux de criminalité plutôt élevé.
L'auteur est flic, c'est une chose. Après faut-il encore savoir écrire un livre. Pour en avoir le coeur net, il suffit de tourner les premières pages; les quelques lignes que nous parcourons nous prouvent assez rapidement que l'auteur connaît les ficèles qu'il faut tirer pour nous offrir un récit saisissant, mais surtout authentique. Le fait d'imaginer qu'il s'agit d'un premier roman est tout de même intrigant et cela doit certainement paraître frustrant pour celui qui voudrait se lancer dans l'écriture! Etre flic est une vocation, c'est évidemment moi qui le dis; mais est-ce pareil pour le métier d'écrivain??
En plus de connaître son sujet comme son holster, Norek est doté d'une écriture efficace qui fonctionne bien dès le départ. Le récit avance, c'est fluide; je n'ai pas eu l'occasion de compter de temps mort (de temps j'ai dit...), bien que l'enquête ne se règle pas en quelques dizaines de minutes comme dans une série. Je veux dire par là, évidemment, que nous avons devant les yeux une enquête qui sent le réel à plein nez! Bref, Olivier Norek sait raconter une histoire, rassuré, plus besoin de revenir sur le sujet! Ou peut-être un peu, je verrai.
Je vous explique un peu ce que l'on découvre dans cette histoire et ensuite je vous redonne quelques impressions personnelles.
Mars 2011. Ambiance froide de la morgue. Une femme et son fils, à la demande de la police, viennent pour l'identification d'un cadavre; une jeune fille, droguée, battue et violée. Identification négative. Un mensonge. Pourquoi?
Janvier 2012. Nous faisons connaissance avec le capitaine Victor Coste, chef de groupe au SDPJ de Seine-Saint-Denis, qui ne nous fait pas attendre une seule seconde pour nous donner du paysage; le 93. Pas de toute beauté, je le conçois... Banlieue pourrie, écrasée par ses nombreuses tours tout aussi pourries, avec odeur de pourri en fumet de fond. Ce n'est évidemment pas une visite touristique qu'il nous propose - il nous aurait suggéré un autre endroit.. quoi que... -, mais il nous emmène sur une sordide scène de crime, dans un des entrepôts désaffectés qui ne manquent pas dans cette région (pourrie).
Un black, un grand black taillé dans un menhir, a été retrouvé abattu de trois balles en plein coffre, en apparence.
Direction l'institut de médecine légale où une autopsie un peu particulière va se dérouler. Le médecin légiste et Coste vont devoir - pour la première fois de leur carrière - s'adresser à un "mort" encore un peu vivant, enfin pas tout à fait mort, et partiellement castré. Cela ne s'invente pas!
Une mise en scène, ce n'est pas courant. Dans les romans oui, en réalité, pas vraiment. Et là, nous ne sommes pas dans un roman. Ah si... Merde, on oublierait presque!
La presse s'en mêle - fuites obliges - et la hiérarchie est sur les dents. Un mort qui n'est pas vraiment mort, même un peu vivant, ça fait tache dans une enquête criminelle. Pour ne rien arranger, le groupe de Coste doit se dépatouiller pour retrouver le malheureux propriétaire du pull ensanglanté troué de trois balles qui se trouvait sur le cadavre pas tout à fait mort du black. Victor Coste, évidemment, ne sent pas trop cette affaire.
Cette enquête, qui débute par ces faits pas trop "standards", va conduire le groupe Coste, de fil en aiguille, vers des faits pas plus réjouissants. Un être humain - difficile d'être plus précis - est retrouvé dans un pavillon abandonné, sur une chaise en plastique, totalement calciné. L'être humain donc, pas la chaise, car celle-ci se porte bien, étonnamment.
Ces troublants évènement assez particuliers paraissent être liés - c'est même certain - et un individu semble se foutre de la gueule des enquêteurs. Quant à ces derniers, loin de se fendre la gueule, ont plutôt tendance à se faire du souci. L'individu en question doit être excessivement tordu. Quelles sont ses intentions?
"Tu penses qu'il joue avec nous? Non, je pense qu'il veut nous faire participer, c'est différent." Capitaine Victor Coste.
Parallèlement, des lettres anonymes adressées personnellement à Coste ne vont pas arranger les choses. Pas énormément d'information sur ces lettres; "Code 93", et des références à des vieilles affaires traitées par un collègue de son groupe, Mathias Aubin. Une jeune fille violée, droguée à mort, ou encore une pute appartenant à la communauté rom, étouffée. Toutes des affaires dont la brigade a été dessaisie par la suite, en raison de liens établies par un système informatique de recoupement d'affaires. Un programme, le SALVAC, dont était responsable Mathias Aubin. Il y a eu, comment dire, un petit couac...
Coste est contraint de régler cette troublante affaire interne qui lui arrive un peu trop radicalement dans la gueule. Direction la région d'Annecy où a été muté Mathias Aubin pour rejoindre sa famille. Ce qu'il va apprendre de la bouche de son collègue dépasse tout ce qu'il aurait pu imaginer. Déception totale. Aubin est un flic intègre qui s'est fait manipuler comme un débutant. Mais la machine est lancée, à pleine vitesse, et il n'y a personne à bord pour l'arrêter.
Une manoeuvre, totalement imbuvable pour Coste, impliquant des personnes allant jusqu'à la sphère politique, a été mise en place pour des raisons absolument aberrantes; ça frise le grotesque. Manipulations à outrance pour permettre, au final, à quelques personnes de s'en mettre plein les poches. Graissage de pattes de service en service jusqu'à ne plus pouvoir se tenir par la queue tellement ça glisse! "Cacher la merde au chat" - j'adore cette expression que je dois être le seul à connaître - devient décidemment un sport national... A vomir.
Coste va prendre une décision, pas celle de la raison, mais celle de l'amitié, ou plutôt celle qui émane de l'esprit de groupe! A partir de ce moment-là, il n'aura plus le droit à l'erreur, ou alors cela sera le grand plongeon.
Beaucoup trop de personnes vont s'avérer être au courant de trop de choses, dont un journaliste "fouille-merde" extrêmement malin et manipulateur. Finalement un journaliste standard. Trop de choses c'est quoi? Un enchevêtrement de merde qui va mettre mal à l'aise beaucoup de personnes, des petites merdes elles-mêmes, tous milieux confondus. Mon langage n'est pas glorieux là, je le reconnais, mais il a l'avantage de ne pas trop vous en dire. Une histoire d'intérêts, de projet d'agglomération; vous verrez bien.
Dans chaque manoeuvres un peu instable, il y a toujours ce fameux petit grain de sable qui vient se coincer dans l'engrenage; presque inévitablement. Ce grain de sable va avoir comme conséquence d'ébranler un homme qui n'aura plus qu'une seule idée en tête. Un être tout ce qu'il y a de plus normal, - pour autant qu'il y ait vraiment une norme qui existe -, qui va se transformer par la force des choses en une machine à tuer. Etonnant. Olivier Norek nous démontre de quelle façon un homme peut se transformer en un monstre sans pitié, ceci en passant par toutes les étapes émotionnelles. Comment naît un tueur de sang-froid, mais surtout pourquoi.
L'enquête va également toucher un milieu peu ragoûtant, peu glorieux, mais essentiel vu la demande; des partouzes de luxe, avec le gratin au complet, mettant en pâture des jeunes filles des cités. Rien que ça... Bravo.
L'auteur, par sa fonction, arrive à nous transmettre une réalité, une ambiance concrète et précise. Scènes de crime, autopsie, milieu urbain, trafic de stups, traitement des infos, recrutements des informateurs; tout est criant de vérité. L'écriture très à l'aise de Norek est vraiment habile, professionnelle, sa plume de flic nous dépeint un tableau sombre, aux couleurs froides, et je vous assure que ce n'est pas de l'abstrait! Certains passages sont crus, heurtant, Norek a certainement dû les écrire au 9mm! En espérant tout de même qu'il ne va pas mettre ensuite sa plume dans son holster...
La cité, ses enfants guetteurs, ses délabrements, ses tours avec ses nombreuses caves, seules témoins d'actes odieux commis en tout impunité; l'auteur nous plante dans ce décor permanent et nous y laisse un moment pour que nous puissions bien nous y imprégner. Décrite comme il le fait, l'odeur du vice, de la violence, de la peur et de la mort nous gagne jusqu'au fond de notre âme pour ne plus en ressortir. Olivier Norek nous décrit une réalité, ne l'oubliez pas.
Je retiens également des dialogues mémorables qui nous accompagnent tout au long du roman. C'est vif, subtile et cela prête parfois à sourire, heureusement! Olivier Norek est très à l'aise, encore une fois, pour faire parler ses personnages; ambiance tellement vraie, vivante, que nous avons parfois l'impression de quitter le papier pour poursuivre sur une pellicule et ainsi suivre des séquences de cinéma.
Le personnage principal, le capitaine Victor Coste, est vraiment ce que l'on attend d'un flic de polar. Pas celui qui descend le whisky en se levant le matin, pas celui qui est cassé de partout par une vie de dépravé, mais un flic intègre, très attaché à sa mission de base, soit de protéger le citoyen, trouver des éléments pour tenter de rendre justice aux victimes.
Coste n'est pas le flic qui se la joue en solo - presque pas! - et qui transgresse toutes les règles pour arriver à ses fins. C'est un gars qui gère un groupe au mieux, qui en recherche une grande cohésion pour être plus fort, qui s'organise pour avancer, ensemble, dans les méandres d'une enquête. Bref, c'est la réalité.
Mais Victor Coste, c'est tout de même un homme un peu "foutu", mais attention, pas par une vie de débauché, faite d'excès, mais peut-être par son job qui pourrait en casser des bien plus costauds que lui. Le métier de flic, ça laisse des traces dans l'âme d'un homme comme les autres, des marques qui sont souvent tracées au feutre indélébile.
Et parfois la vie privée bascule, mais est-ce vraiment la faute du boulot? Ou peut-être est-ce juste un prétexte pour se rassurer et se dire que finalement on ne pouvait rien y faire. Pour Victor Coste, la balance a basculé du mauvais côté un jour en rentrant du boulot; une baignoire, du sang, une femme...
Olivier Norek met un accent - grave! - sur une sujet relativement sensible, comme cette affaire "d'homicide caché", une pratique qui, expliqué de la sorte, me semble tout à fait réaliste et pourrait bien se produire sans trop de problème. C'est pourri, c'est insensé, mais techniquement tout à fait faisable. Peut-être est-ce le cas?
La finalité de l'intrigue, personnellement, je l'ai un peu vu venir (presque). Mais Olivier Norek nous fait suivre une enquête qui se déroule dans les règles de l'art - ou presque -, donc avec "une vision" de flic, on est peut-être un peu moins "surpris". Le dénouement, d'ailleurs, est très bien amené, mais absolument logique. Il n'y a pas la moitié de la ville de Paris qui explose, heureusement, car ceci est réservé aux polars qui manquent d'ingrédients et de matière. A bon entendeur...
Si vous voulez faire un tour complet du 93, Seine-Saint-Denis, en suivant une intrigue au plus près de la réalité, n'hésitez-même pas... Retrouverons-nous Coste dans le futur? J'espère qu'Olivier Norek va continuer à le faire "vivre" encore un moment!
Bonne lecture.