Quelques questions à Franck Thilliez sur son nouveau thriller "Il était deux fois". Entretien !
"... Ma plus grande peur, viscérale, celle qui me tord les boyaux, c’est… le vide !! J’ai le vertige." Franck Thilliez
Franck Thilliez nous parle ici de son nouveau thriller, "Il était deux fois", avec énormément de générosité et de passion ! Il nous parle aussi un peu de lui, de ses peurs mais aussi de ses craintes. C'est parti !
Une question très générale. Comment te viennent tes idées de base ? Comme ici, par exemple, concernant l’amnésie de l’un de tes personnages. Observations ? Recherches ? Hasard ?
Il n’y a pas vraiment de règles, on ne peut pas se mettre devant son bureau et se dire : « tiens, aujourd’hui, je vais trouver une idée ! » Pour moi, c’est un long processus, qui commence lorsque je viens de finir le roman précédent et que je m’interroge sur une prochaine histoire. Ça peut prendre des mois, c’est d’ailleurs la phase la plus incertaine, pendant laquelle tu doutes, tu te demandes « est-ce que je vais réussir à trouver une BONNE idée ? » Parce que des idées, on en trouve tout le temps, mais des bonnes, c’est plus rare ! Hors, pour que je puisse me lancer sur l’écriture, il me faut une idée béton, dont je sens le potentiel de développement, la richesse dramatique.
J’en profite d’ailleurs pour mettre ici le lien vers une conférence appelée TEDx, que j’ai donnée concernant la recherche d’idées : https://www.youtube.com/watch?v=2yrdCSbX1dA
On va dire que globalement, l’idée finale découle des trois éléments que tu cites : observations, recherches et hasard. A titre d’exemple, pour l’amnésie très particulière de mon personnage, je ne me suis pas levé un matin en ayant cette pathologie en tête, je ne savais même pas que ça existait ! Ca découle de recherches dans des domaines qui m’intéressent (le cerveau, la mémoire…), il faut tomber dessus (le hasard), et entrer en résonance avec la trouvaille (et si j’en faisais une histoire ?) Enfin bref, on voit bien que le cheminement d’une idée n’est pas simple !
Pour rester dans un contexte général, vas-tu écrire un bouquin sur cet épisode qui nous frappe en ce moment dans le monde ? Oui, c’est vrai, il y a « Pandemia ». Mais là, je parle de la période-même que nous venons de traverser, ou que nous traversons encore.
Ecrire à proprement parler dessus, je ne sais pas encore (je suis dans mon prochain Sharko !!), je pense qu’il y aura dans les prochains mois une palanquée de livres qui traiteront du sujet, mais une chose est sûre : c’est une période qui ne pourra pas être ignorée dans les histoires à venir, et dans l’art de manière générale (cinéma, peintures, œuvres…).
Cet épisode terrible, mais comme l’ont été les attentats, fait désormais partie de notre monde, de notre construction en tant qu’êtres humains. Il a occupé une tranche de vie de chacun d’entre nous. Il est évident que dans mes futurs récits, même si la pandémie ne sera sans doute pas le cœur du sujet, mes personnages seront construits avec ce qui s’est passé. Ils auront ce confinement et la période qui va suivre au fond de leurs tripes, et cela aura des conséquences, évidemment, sociales, psychologiques, comportementales. Le monde d’après la pandémie ne sera probablement plus le monde d’avant et dans ce genre qu’est le polar, nous devrons bien évidemment en tenir compte. C’est le propre du genre !!
Venons-en à ton nouveau thriller, « Il était deux fois » ! Cette amnésie très particulière dont souffre l’un de tes personnages, existe-t-elle réellement telle qu’elle est décrite dans ton ouvrage ? C’est assez déstabilisant comme situation !
L’amnésie psychogène rétrograde (!!!), oui, ça existe, et c’est cela qui est intéressant, en terme d’écriture : on n’est pas dans la science-fiction, mais bien dans la réalité. Quand je suis (enfin, après des semaines de recherches hasardeuses) tombé sur ce type d’amnésie, je me suis dit « je tiens mon idée ! » ou en tout cas « je tiens un superbe personnage ! » Très peu de personnes sont touchées dans le monde par cette amnésie, qui est comme une sorte de long trou noir dans l’existence. C’est-à-dire que sans qu’il y ait d’accident physique, tu te retrouves soudain à croire que tu as 20 ans (par exemple), alors que tu en as 40 ! Tu as occulté 20 ans de ta vie sans le savoir. La cause est souvent psychologique, mais c’est une amnésie encore bien mystérieuse. En tout cas, idéale pour le genre d’histoires que je raconte !
Lorsque tu as écrit le thriller que nous retrouvons – surprenant ! – en partie dans « Il était deux fois », avais-tu déjà en tête cette structure actuelle ? Ou alors, inversement, tu as tout adapté ici. Est-ce qu’il y a une intention / idée précise en remettant ce thriller « au goût du jour » ?
Difficile de répondre à cette question sans parler de « l’autre thriller » ! Ce qui est sûr, c’est qu’on peut lire ce livre complètement indépendamment de tout ce que j’ai écrit, il se suffit à lui-même. Nouveaux personnages, nouvelle histoire… Les références à un autre de mes livres sont une sorte de « récompense » supplémentaire à mes fidèles lecteurs, qui, dans cette lecture de « Il était deux fois », sentiront quelque chose d’autre, d’assez puissant, se dégager. Ce roman leur apportera aussi les raisons du pourquoi ! Bon, tout cela est bien flou, il faut lire le livre et vous comprendrez !
Avais-tu encore tout en tête pour relier ces deux ouvrages ? Connais-tu toutes tes trames par-cœur, depuis « Train d’enfer pour Ange rouge » ?
Tout en tête ? Non, loin de là ! Chaque livre est déjà en soi un vrai casse-tête, alors c’est très compliqué d’imaginer ce que pourrait être un futur livre impliquant le premier ! Par contre, j’aime bien laisser des pistes, des ouvertures dans une histoire, en me disant « ce point-là, je pourrai peut-être le réutiliser ou le développer plus tard, dans une nouvelle histoire ». C’est cela qui me permet de faire des croisements, de relier les livres entre eux. Pour relier « Il était deux fois » à un autre livre, la porte d’entrée me paraissait évidente, alors je l’ai exploitée à fond, et ça a plutôt bien fonctionné, je suis content de la façon dont les deux histoires s’imbriquent, bien qu’elles puissent être lues de façon complètement indépendante bien sûr.
Nous allons essayer de ne rien spoiler, mais crois-tu vraiment que l’Homme peut être aussi orgueilleux, autant imprudent, jusqu’à souhaiter que « tout le monde sache, que tout le monde voie » ce qu’il a entrepris, au point de prendre énormément de risques ?
Tout est possible avec la nature humaine, et on le voit chaque jour ! (n’oublions pas que Donald Trump existe bel et bien !!). Evidemment, l’homme aura tendance à dissimuler ses actes malveillants ou hors-la-loi, parce les instincts primaires font qu’avant toute chose, on cherche à préserver sa propre vie, coûte que coûte. Mais il existe certains individus, une poignée sans doute, pour qui l’importance de leurs actes, de leurs convictions, dépasse leur propre existence (perçus comme des « héros » ou des résistants quand les actions sont plutôt positives).
Pourquoi les lieux que nous traversons ici sont-ils, pour certains, inventés ? Je ne crois pas que cela fasse partie de tes habitudes, sauf erreur de ma part. Pour les lieux réels, t’es-tu rendu sur place ? Bon pour Lille, je connais la réponse …
J’ai adoré créer de toutes pièces la ville de Sagas, c’est un des privilèges du romancier, qui peut inventer le monde qu’il souhaite, placer les éléments où il le veut, pour servir au mieux son histoire. En tant que lecteur, les villes inventées m’ont toujours fait fantasmer, je trouve qu’elles apportent une dimension supplémentaire à la lecture et font davantage travailler l’imaginaire. Je voulais une ville sombre, pas glamour du tout, encastrée dans une vallée, écrasée par une météo humide à longueur d’année, le genre de temps qui peut rendre les gens fous ou suicidaires. Évidemment, ce genre de ville existe aussi en vrai, je pourrais citer des exemples, mais je ne voulais pas non plus faire de mauvaises publicités à ces villes, car dans mon histoire, il se passe des choses terribles ! Au moins, le fait que ces sinistres événements se déroulent à Sagas ne nuit à personne !
Quant au reste, on revient dans la réalité, et tout est (à peu près) exact ! De manière générale, je connais bien les lieux que je décris, je m’y rends quand c’est possible. Si ce n’est pas le cas, je me documente.
Dans ce millésime 2020, tu évoques énormément la mort, le morbide. Il y a beaucoup de cadavres, vus sous des angles bien distincts. Est-ce qu’il y a un élément particulier qui t’effraye dans ce domaine ? Car tu m’avais dit un jour, je te cite : « J’ai eu beaucoup de peurs d’enfants (le noir, l’enfermement, la mort), et je sais qu’elles sont encore là, enfouies au fond de moi-même, comme en chacun de nous. Je pense que l’écriture les fait ressortir. »
Quand on écrit des polars, on se pose forcément des questions autour de la mort, puisqu’elle est souvent à l’origine des histoires ! Le cadavre est l'une des figures du genre.
Alors la mort, il faut faire avec, il faut l’apprivoiser, même si, comme beaucoup d’entre nous, elle me fait peur à titre personnel. Pour mes histoires, c’est autre chose. Elles m’ont déjà poussé dans des instituts médico-légaux, lieux privilégiés pour des rencontres riches en enseignements. Lorsqu’on discute avec un médecin légiste, on se rend compte que la mort est aussi riche que la vie, qu’elle se respecte et qu’elle aussi, elle nous conte des histoires toujours passionnantes, souvent tragiques. Je me suis également rendu dans des laboratoires d’anthropologie ou d’entomologie, des tribunaux pour y voir des experts médico-légaux y faire leurs comptes-rendus, à des expositions sur les écorchés de Fragonard ou des conférences autour de l’étude de squelettes. Les morts m’ont, sans cesse, révélé de nouveaux secrets, et m’en ont appris à chaque fois un peu plus sur les vivants… Donc sur moi-même…
Cette question m’amène à une autre ! Quelle est ta plus grande angoisse, crainte, par rapport au monde, à notre société ? Plus intime encore, quelle est ta plus grande peur, la plus enfouie, celle que tu traînes depuis toujours ? Soit honnête, je ne le dirai à personne, ou presque !
Ce qu’on vit en ce moment, ça m’effraie. Cette période du coronavirus est une espèce de creuset gigantesque qui rassemble nos plus grandes peurs (les miennes mais, je pense, celles de nombre d’entre nous) : peur de l’invisible, de la maladie, peur de mourir, mais aussi, peur d’un effondrement général de notre humanité, qui débuterait par l’écroulement du système économique. Ce virus, c’est un coup de semonce de la nature, une alerte qui nous prévient qu’il n’y aura pas de seconde chance. J’ai bon espoir qu’on s’en sorte cette fois-ci, mais il faudra que les choses changent à l’avenir. C’est tout le même le bon moment pour bâtir un monde plus juste, plus vert, plus respectueux.
Sinon, ma plus grande peur, viscérale, celle qui me tord les boyaux, c’est… le vide !! J’ai le vertige.
Dernière question, tes lectrices et lecteurs vont-ils retrouver Lucie et Franck dans ton prochain bouquin ? Ils prennent de l’âge, il ne faut pas trop tarder !
Je planche dessus ! Je n’en dis pas plus pour garder la surprise, mais il y a du Sharko dans l’air !! Et encore une histoire bien tordue comme les lecteurs les aiment !
Merci Franck !