Il était deux fois, Franck Thilliez --- L'Art de la mort, ou la mort dans l'Art ?

Publié le par Pascal K.

Il était deux fois 
Franck Thilliez

Éditions Fleuve noir / 2020
528 pages 

Imaginez. Vous vous levez, un matin, et vous vous regardez dans le miroir. Celui-ci vous renvoie le reflet d’un homme qui a bien trop vieilli. Sur un journal qui traîne sur une table, vous remarquez que 12 ans ont passé. Merde ... Que faites-vous ? 

Franck Thilliez nous plonge dans une belle dépression dès le départ. Après un travelling avant à travers un cadre rocailleux aussi froid qu’austère, nous nous retrouvons devant un hôtel miteux, en Haute-Savoie. Le cadre est disgracieux, tout est repoussant : bienvenue à Sagas, le trou du cul du monde. Même la nature semble éprouver un certain malaise ! 

Gabriel Moscato, gendarme, vient chercher des renseignements. Sa fille, 17 ans, a disparu depuis 32 jours lors d’une sortie à VTT. La détresse alourdit chaque ligne et charge les pages d’un profond désespoir. Nous nous mettons à la place de ce père qui s’acharne, qui lutte, qui ne lâche absolument rien, mais qui fatigue et désespère aussi. 

Ensuite, ça se gâte. Pas uniquement pour le personnage, mais pour nous, lecteurs ! Pas de doute, l’auteur récidive ! Coups d’assommoir, étourdissement. Franck Thilliez vient de nous ouvrir une porte qui nous mène illico vers une confusion totale liée au moment présent, en nous administrant même un bon coup de pied au cul pour bien nous engluer dans son imagination débordante. 

Nous allons alors défier le temps en nous intéressant au cerveau, à la mémoire, ses dérapages incontrôlés ou ses systèmes complexes de protection. Notre personnage, Gabriel Moscato, a zappé les douze dernières années de sa vie. Du jour au lendemain, pour lui, toutes ces années ont passé en l’espace d’une nuit. Le regard des autres tendra à lui démontrer que ces quelques « millésimes oubliées » n’ont pas fait de sa vie un grand cru. L’inconnu va être un affront de taille pour combler les failles ! 

Cet homme va reprendre l’enquête sur la disparition de sa fille - le faisait-il déjà durant ces 12 années ?? - et va tenter de renouer le contact avec lui-même. C’est flippant et étourdissant ! Le fait de perdre la maîtrise sur une partie de son passé donne vraiment le vertige. Ne pas savoir ce que nous aurions pu faire ou ne pas faire durant tout un pan de sa vie est perturbant.

Recoller les morceaux et voir les choses avec un cerveau neuf - c’est bien le cas de le dire ! - va être ici déterminant. Le fil rouge de cette intrigue sera finalement le fait de tenter de renouer avec ce que l’on aurait peut-être déjà entrepris, sans vraiment savoir si on l’a fait. C’est un peu ça ! Contre-enquête ? Double enquête ? Cet aspect-là m’a fasciné !

Sagas. Ce petit village montagneux va être forcé de cracher son passé. Nous allons prendre quelques révélations dans la tronche, comme si nous courrions au milieu d’un champ de mines sans faire trop attention où l’on met les pieds ! Mais où faut-il vraiment aller chercher pour avancer dans cette enquête ? Question centrale.  

A force d’autant creuser dans cette terre remplie de fiente, nous allons forcément nous éloigner de ce village pour atteindre - je ne vous le cache pas - l’impensable.

Mais voilà, l’auteur ayant estimé que son intrigue n’était pas encore assez sophistiquée, il a jugé bon de nous retrancher vers ses délires associatifs, si j’ose dire ainsi ! Imaginez un seul instant que la clé de cette intrigue criminelle - la pièce maîtresse - soit un précédent thriller de Franck Thilliez. Vous voyez le truc ? Je ne peux malheureusement pas vous en dire beaucoup plus. C’est subtil, assez inattendu et réalisé d’une manière admirable au niveau de la structure et du schéma. Quel assemblage, Monsieur l’architecte ! 

Faire revivre, voire compléter ou même faire vivre autrement un ancien thriller, c’est plutôt bien vu ! Et vous trouverez des réponses que vous vous posez peut-être depuis deux ans !

Difficile de ressortir indemne de cette lecture. La mort, sous des angles bien différents, nous colle aux basques, même si l’on secoue bien les pieds ! Fascination, attirance morbide, souffrance, source d’inspiration : l’univers de la mort peut parfois percer le cerveau et s’immiscer jusqu’au plus profond de l’âme pour en faire jaillir une sorte de jouissance ! Immonde jubilation.

Deux hommes, chacun de leur côté, mais cherchant à atteindre le même but, vont s’enfoncer toujours un peu plus vers une sorte de folie, celle qui fait des ravages, celle qui fait souffrir. Au nom de quoi ? Vous le verrez bien, c’est morbide à souhait. J’aime à penser que cela dépassera légèrement tout ce que vous pouvez soupçonner. Mais, évidemment, je ne vais pas vous en dire davantage !

Bonne lecture. 

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