La lame, Frédéric Mars --- Sommes-nous aussi proches du chaos ?
La lame
Frédéric Mars
Éditions Métropolis / 2019
507 pages
Cette œuvre d’anticipation se déroule en 2031. Donc, ce que vous allez découvrir ne s’est pas encore passé, ne se passera peut-être jamais, voire éventuellement qu'une partie. Mais, peut-être, est-ce tout simplement une fidèle image de notre futur proche ? Allez savoir ...
Quoiqu’il en soit, l’auteur a décidé de nous offrir ce futur le temps d’une histoire. Enfin, décidé... Pas forcément. Frédéric Mars s’est appuyé sur des éléments actuels pour dérouler les années et, finalement, terminer sur cette possibilité. Intéressant ! J'adhère totalement, cette lecture est tout simplement fascinante.
Nous débarquerons notamment à Marseille. Quelle misère ! D’un point de vue général - je n’entrerai pas dans les détails -, nous pouvons constater que le milieu criminel tient la police et la justice en otage. Zones de non-droit, violence, résignation de la population ou autorité totalement morte, c’est franchement la merde. Le mot respect prête presque à sourire - nerveusement - tellement il ne veut rien dire.
Que s’est-il passé ? Un flic, Simon Mardikian, va nous guider dans cet antre sauvage bien décevant.
Pour tenter de comprendre plusieurs aspects de cette intrigue, nous irons également au Nigeria, dans les bidonvilles de Lagos, où les « maisons » sur pilotis s’entassent dans un amas de merde et d’immondices. Cette région, dont la population augmente d’une façon inquiétante et impressionnante, sera l’épicentre de cette trame plutôt réaliste.
Dix ans, huit ans ou parfois même moins, peu importe l’âge, le Milieu là-bas n’est pas trop regardant. Les enfants sont de parfaits petits trafiquants si tu les emploies bien comme il faut ! Un prof d’école, bon, courageux et consciencieux, ne va pas laisser aller les choses comme ça. Du moins, c’est ce qu’il souhaite.
L’intrigue va nous parvenir par plusieurs fronts. Nous avons une France au bord de l’implosion, vulnérable, dirigée par un chef d’Etat cool, plutôt apprécié, soit Bako Jackson, qui tente de se faire réélire parmi une sphère politique qui ne sait plus quoi inventer pour contenter son peuple.
Son nouveau projet : renforcer les frontières et tenter de ralentir, voire de stopper les flux migratoires africains. Mais ! Nous avons également une région extrêmement pauvre d’Afrique, instable, immensément peuplée, qui essuie un puissant tsunami dévastateur. La population est dès lors en mouvement.
Frédéric Mars va donc nous enfouir dans un cirque infernal, dans lequel équilibristes et voltiges politiques - sans filet - font rage, où quelques clowns et prestidigitateurs - je parle toujours de politique ! - essayent de faire leur numéro au mieux, ou encore dans lequel nous pourrons admirer quelques maniements très adroits du lancer du discours qui passe bien !
Cette histoire est violente, sans filtre. L’auteur ne nous épargne absolument rien. La réalité des faits, finalement, ne peut s’exprimer que de cette manière, ne soyons pas naïfs. Certaines scènes sont abominables, inhumaines.
Le mot pute, dans ce conte de fée, devient presque un terme harmonieux, divin et élégant lorsque tu as été témoin de ce qui se trame dans les tours crasseuses de la banlieue nord de Marseille. Abjecte. Ce qui se passe en Afrique dépasse largement tout ce que vous pouvez imaginer.
Mais le gros morceau, celui qui ne se digère pas ou difficilement, sera la gestion de flux migratoires à travers l’Afrique et l’Europe. La considération vis à vis de l’être humain s’approchera de zéro. Une immense crise humanitaire en cours doit être réglée et, évidemment, c’est au niveau politique que cela va se jouer. Et c’est bien à ce niveau-là que vous risquez bien d’être déçus !
Comment déplacer un problème ! Les prestidigitateurs de pacotille en costard-cravate sont sur la place pour user du meilleur tour de passe-passe !
Le cirque va alors commencer, bienvenue sous le chapiteau ! Magiciens, manipulateurs, dompteurs, clowns, équilibristes : ils seront tous là au rendez-vous ! Vive la gestion de crise...
Plus on avance dans cette histoire, plus on a envie de gerber. Tout ce qui est entrepris - à tous les niveaux ! - pour diminuer les frais, peu importe les dégâts collatéraux, est abjecte. Une vie humaine ne vaut rien, visiblement. Des centaines de milliers non plus.
Fermer les yeux, laisser aller, sauver son cul, voilà ce qui compte. Si l’on peut encore éventuellement gagner du fric, c’est encore mieux. Mais des vies, de pauvres en plus, ça sert à quoi ? L’indifférence et noyer le poisson est bien plus pratique.
Entre des trafics de grandes envergures, bien rodés et bien culottés, une politique girouette qui va mal et qui s’enfonce, en passant par des flux massifs de populations gérés comme du bétail putride, ou encore par un flic endeuillé et en colère qui, tel un bouledogue, ne compte rien lâcher, l’auteur va nous dévoiler petit à petit le point de convergence qui relie tous ces faits divers révoltants.
Il va le faire, et plutôt bien ! Tout s’emmêle, s’entremêle, un vrai parcours alambiqué qui se tient et qui va nous conduire vers un solide dénouement. Magouilles politiques, financières, humanitaires, couplées d’informations pourries (BFMTV) et de bonnes désinformations (fake news) : c’est la jungle !
L’Homme a peur, il fuit, il ne veut pas être concerné ni impliqué. L’auteur nous démontrera comment de simples citoyens peuvent se métamorphoser lorsque leur petit quotidien est menacé !
Une petite lueur brillera tout de même dans cette confusion totale et ce désastre humain : la solidarité par la ténacité et l’amitié.
Soit. Le point de non-retour dont nous sommes témoins ici fait profondément réfléchir. Bon alors ? Œuvre d’anticipation ... Tout cela va se produire ? Une partie ? Que dalle ?
Moi je pense que l’auteur est plutôt clairvoyant. Bonne chance.
Bonne lecture.