Quelques questions à Franck Thilliez sur son nouveau millésime "Luca". Entretien !

Publié le par Pascal K.

"Au Moyen-Age, les gens allaient assister à des pendaisons sur les places publiques, aujourd'hui, ils le font derrière leur ordinateur." Franck Thilliez.


Après avoir abordé bien des domaines sur la « nature humaine », tu as décidé de t’attaquer à l’être humain connecté. Sachant que tu utilises des thèmes qui te tiennent à cœur, pourquoi ce choix ?

Parce qu'aujourd'hui, nous vivons dans ce monde-là, celui où nous sommes tous connectés les uns aux autres par les réseaux, les portables, l'Internet. Depuis quelques années, l'accélération des technologies liées aux interactions hommes-machines est violente, et nous n'en sommes pourtant qu'aux balbutiements ! C'est un sujet extrêmement riche, qui nous concerne tous, auquel il est difficile d'échapper à moins de vivre sur une île déserte.

Je savais qu'il y 
avait matière à une bonne histoire, il fallait trouver, comme toujours, le moyen de l'intégrer dans une enquête policière, sans que ce soit pompeux, ni trop technique, ni plaqué. Sharko étant assez réfractaire aux ordinateurs, aux écrans et aux réseaux, il plongera, comme le lecteur, dans un monde qui lui échappe peut-être déjà.

Les réseaux sociaux, la technologie numérique ou l’intelligence artificielle, est-ce selon toi une nouvelle « menace » ? Sommes-nous tous naïfs ? Manipulés ? Idiots ?? Trop confiants ...

Je dirais que nous sommes peut-être pas assez méfiants. Il y a quelque chose de très séduisant dans l'internet et les réseaux sociaux, c'est sa gratuité. Nous accédons à des services géniaux que des gens développent pour nous, des milliers d'applications nous facilitent la vie, nous poussent à faire du sport et améliorent notre santé.

Mais il 
y a une citation de Tim Cook, le patron d'Apple, qui résume bien la situation  : "Si c'est gratuit, c'est que vous êtes le produit". Nous sommes en train d'offrir aux plus grandes entreprises de ce monde, les GAFA (Google, Amazon, Facebook et Apple, entre autres) nos données personnelles, nous les renseignons sur nos orientations politiques, nos croyances, nous leur livrons nos plus intimes pensées par les moteurs de recherches, si bien que ces géants du Web sont en train de se nourrir de ce qui se passe dans nos cerveaux ! Qu'y a-t-il de plus précieux, pour des entreprises dont le but est de vendre des produits, que de savoir ce que pensent les gens ? Les GAFA constituent en ce moment-même la plus grande base de données sur la psychologie humaine, et bientôt, ils nous connaîtront probablement plus que nous nous connaissons nous-mêmes ! 

Et toi, en as-tu peur ? Tu m’avais dit un jour que tu te nourrissais de tes peurs pour écrire tes romans ...

Ce qui me fait le plus peur là-dedans, c'est surtout ce qui se passe en ce moment sur les réseaux sociaux : le monopole de la pensée unique, le lynchage systématique de ceux qui ont le courage ou la maladresse d'affirmer leurs opinions. Au Moyen-Age, les gens allaient assister à des pendaisons sur les places publiques, aujourd'hui, ils le font derrière leur ordinateur. Le moindre mot de travers sur Twitter, par exemple, est immédiatement sanctionné, il n'y a plus de procès, de réflexion, de nuances, on détruit d'abord et on juge ensuite.

Je pense 
également à cette course de certains médias au sensationnel, on privilégie le spectacle à la fiabilité de l'information, on relaie, parfois, des Fake News, auxquels les gens croient dur comme fer s'ils n'ont pas la curiosité de vérifier par eux-mêmes. C'est cet enfermement des individualités dans des "bulles" qui m'effraie le plus.


La manipulation génétique est très encrée ici dans « Luca ». Tout ce que tu y décris est-il réel ? Ou plutôt concrètement réalisable ? Humainement parlant ou d’un point de vue éthique, c’est extrêmement violent et déstabilisant !

Oui, tout existe, c'est cela qui est réellement effrayant ! Depuis l'aube de l'humanité, l'homme subit son génome, c'est quelque chose dont il hérite, et qu'il doit supporter, pour le meilleur et pour le pire. Aujourd'hui, nous sommes capables de contourner Dame Nature, et de passer de la chance au choix. De manipuler l'infiniment petit de façon très simple pour accroître certaines de nos capacités, supprimer des maladies avant même la naissance, de repousser les limites de la vie (et de la mort). Quand cela se fait en laboratoire, dans le cadre de lois de bioéthiques rigoureuses, à la rigueur... Mais cet accès au génome s'est démocratisé, et si je vous disais qu'aujourd'hui, n'importe quel quidam peut acheter des kits de modifications génétiques sur Amazon (le .com, pas le .fr), vous me croiriez ? Allez faire un tour, et vous verrez.


Penses-tu que cette tendance d’aller « contre-nature » est vraiment en train de prendre de l’ampleur ? L’humain (de base) arriverait-t-il au terme de son existence ?  Toujours aller plus loin ...

Aujourd'hui, nous allons beaucoup plus vite que la nature, les adaptations au sens darwinien du terme n'ont plus le temps de se mettre en place que les espèces sont déjà passées à un autre stade grâce aux (ou à cause des) technologies, aux avancées en terme de biologie, de génétique, mais aussi à cause de la pollution et de l'industrialisation. Toutes les espèces vivantes ont une échéance : leur mort. De nos jours, nous sommes en train de repousser l'inéluctable, de repousser la mort. Mais est-ce bien ?  Comme le dit Audra, l'un des personnages du livre, quel serait le but de nos vies sans la mort ?

Et si la mort existe d'un 
point de vue évolutif, c'est qu'elle est nécessaire à l'espèce. Commencer à "jouer" avec ces limites-là me paraît dangereux non seulement pour l'équilibre de notre espèce, mais aussi de toutes les espèces.

Dans cette histoire, les flics que nous suivons ont presque tous un traumatisme à gérer, à combattre. Est-ce une façon pour toi de démontrer qu’il y a, derrière la fonction de flic, un être humain ?

Evidemment. Je côtoie des flics surtout dans ma phase de recherche et de construction d'intrigues, ce sont des gens extras dont la mission principale, ne l'oublions pas, est de nous protéger. Ils sont en permanence confrontés à la violence, au pire de ce que l'humain peut engendrer, notamment dans les services de police judiciaire (brigade criminelle, traite des êtres humains...) Ils encaissent beaucoup, ils ont l'habitude, mais à un moment donné, ils sont comme tout le monde, il y a un trop plein qu'il faut évacuer d'une façon ou d'une autre.

Dans 
mes histoires, il est important de ne pas oublier que, comme tu le dis, un flic est avant tout un être humain qui a ses hauts et ses bas, ses démons, ses fantômes. C'est cette partie un peu plus sombre de chacun (et pas seulement des policiers) qui m'intéresse, c'est là que j'aime creuser pour révéler, au final, le meilleur de mes personnages.

Pour cette question, tu peux répondre juste par oui, par non ou développer si tu en as envie: as-tu confiance en l’Homme ? A l’avenir ?

Cela n'en a pas l'air quand on lit mes livres, mais je suis plutôt optimiste et j'ai confiance en l'Homme.  Nous sommes petits, insignifiants dans l'univers, mais nous sommes capables de photographier un trou noir situé à des années-lumière de nous dont on ne connaissait l'existence que par la théorie, nous pouvons envoyer des gens dans l'espace, faire vivre des malades grâce à des cœurs artificiels ou redonner la vue aux aveugles. Si l'homme est ici, aujourd'hui, sur cette Terre, c'est qu'il a survécu à bien des catastrophes et qu'il mérite sa place. Mais il faut rester vigilant, notamment en terme de préservation de la planète. Pour moi, c'est l'enjeu principal.

Si la nature peut se 
passer de nous, nous ne pouvons nous passer d'elle. Une pensée de l'un des personnages du livre résume assez bien mon état d'esprit : "L'Homme est capable de construire une église le matin et de la détruire le soir-même."


Merci à l'auteur pour ces précisions qui sont, pour moi, plutôt pertinentes ! Rendez-vous le 2 mai pour la sortie de LUCA !

Publié dans interviews

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C
J'ai encore plus hâte d'avoir LUCA entre mes mains ????
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P
Je comprends ça ! ????