Malfront, les mémoires de Mathilde, de Gérard Coquet --- Comme aux échecs, toujours un coup d'avance!
Malfront, Les mémoires de Mathilde
Gérard Coquet
In Octavo Editions / 2014
364 pages
Ayant été profondément charmé et touché par le premier tome de cette œuvre polardo-historique, c’est avec une réelle émotion que j’embarque dans ce second volet signé Gérard Coquet qui, celui-ci, se qualifierait de polardo-rural !
Retourner dans ce village médiéval de Martebrun, aux attraits très nuancés, me permet de retrouver ce qui m’a tant ému : en particulier, des personnages complexes et complets, une ambiance lourde et très forte, ou encore cette âme non identifiable qui plane au-dessus de nous et qui ne nous lâche plus. D’un point de vue plus général, je retrouve cette écriture travaillée, fouillée, ou encore ces mots qui nous arrivent droit dans les tripes, avec force, pour nous les remuer et parfois même pour nous étouffer. Le poids et le pouvoir des mots sont ici sans limite.
Encore une fois, Gérard Coquet va faire vibrer notre corde sensible avec le bout de sa plume gorgée d’or en mettant en scène des protagonistes suscitant un milliard d’émotions différentes (au minimum). Cet ouvrage est dur et, d’une certaine manière, violent, avec un fond de légèreté qui donne un contraste surprenant.
Dans ce second volet, nous allons nous approcher d’un personnage que nous avons côtoyé dans le premier roman, Mathilde Favier, la cinquantaine, propriétaire d’un chenil. Atteinte d’un cancer, sa vie va s’achever prématurément, mais pas à cause du crabe. La thèse du suicide sera privilégiée.
Hugo Boscowich, dit le Polack, que je retrouve ici avec un plaisir ému, sera l’homme de la situation. Il a reçu la lourde tâche d’écrire les mémoires de Mathilde, à la demande de cette dernière, avant qu’elle ne disparaisse (évidemment). Et je peux vous le dire, dans ce village, il y en a des choses à raconter ! Et ce n’est pas pour plaire à tout le monde, voire peut-être même à personne.
C’est dans une ambiance lourde de sens que nous allons arpenter les ruelles de ce village de Martebrun. Aux côtés de Boscowich, nous allons nous approcher des âmes qui règnent ou qui errent ici dans ce village, présentes - pour certaines - depuis de nombreuses années.
Entre cynisme et arrogance, mais aussi entre jalousie et rivalité, en approchant tout de même l’amour et l’amitié, nous allons traverser, un peu étourdis, l’histoire de cette bourgade. Aux côtés d’un homme fiable et friable à la fois, nous aurons parfois du mal à retrouver notre chemin. Cet homme, nous allons tout de même le suivre car, d’une part, nous n’avons pas vraiment le choix et, d’autre part, il faut admettre qu’il inspire confiance.
Souvent largués et quelque peu manipulés, nous nous retrouverons quelques fois dans une position inconfortable et donc avec « le cul entre deux chaises ». En parlant de cul, justement, celui de certaines femmes du village, bien plus frivoles que frigides, contribuera à donner le ton et la cadence de cette intrigue.
Dans ce petit village, afin de garder une constance morbide, certains habitants vont passer de vie à trépas. L’enquête que nous allons suivre va nous emmener vers des secrets bien gardés et, visiblement, certaines personnes désireraient que cela continue comme ça. Cependant, quand la merde à enterrer est si volumineuse, il est parfois difficile de trouver assez de terre pour la recouvrir.
Sexe, pouvoir et argent : ces trois ingrédients, qui servent à élaborer des sauces bien piquantes, ne feront pas exception ici. Dans une petite bourgade comme celle-ci, il est très difficile de faire disparaître la moisissure. Vous pouvez frotter au papier de verre durant des heures, tout le village sera passé devant vous avant que la merde disparaisse.
Martebrun est un joli petit village où il fait bon vivre. Mais si vous prenez le temps d’aller fouiner dans les recoins ou de regarder discrètement aux fenêtres, vous découvrirez alors toute la pourriture qui y règne et qui gangrène cette bourgade nauséabonde.
Selon l’adage, la vengeance est un plat qui se mange froid. Ici, Gérard Coquet nous la sert congelée. L’Homme n’oublie jamais rien, surtout si son cercle intime a été touché, bafoué et maltraité.
Il y a quelques histoires qui restent gravées dans ma mémoire. Celle-ci en fait partie.
Bonne lecture.