Le manuscrit inachevé, de Franck Thilliez
Le manuscrit inachevé
Franck Thilliez
Fleuve noir éditions / 2018
525 pages
Ne cherchez pas à rejoindre vos deux héros Lucie et Franck, inutile, vous n’arriverez pas à les atteindre dans ce nouveau millésime de Franck Thilliez. Chacune et chacun d’entre vous avez droit à des vacances - méritées ou non - eux aussi...
En parlant de personnages, ceux qui évoluent dans cette histoire sont somptueusement bien campés. Je pense que, comme moi, vous douterez sur la plupart d’entre eux...
Dans ce one-shot du maître incontesté du thriller - ces termes n’engagent que moi -, vous allez tomber, vous écraser et ainsi atteindre les bas-fonds des ténèbres. Quelques aspérités seront pourtant bien là, lors de cette chute, pour que vous puissiez vous y accrocher, mais elles seront hors d’atteinte. Eh oui, Franck Thilliez a pensé à tout pour que votre chute soit complète.
Le prologue nous donne déjà quelques infos plutôt surprenantes. « Le manuscrit inachevé » a en fait été écrit par un individu qui s’est donné la mort, ceci avant d’établir le dénouement. Plutôt emmerdant non ? N’ayez crainte...
... Votre migraine ne fait que commencer. Lorsque vous découvrirez, par exemple, qu’il y a « Le manuscrit inachevé » dans « Le manuscrit inachevé », là, vous pourrez commencer à torde vos neurones pour les essorer ! Et ce n’est pas fini.
Selon l’adage, la réalité dépasse souvent la fiction. Là, ça sera la fiction qui rejoindra la fiction ! Toute une histoire... voire même plusieurs. Confusions sur confusions, choix impossibles, ambiguïté totale; nous allons y perdre notre latin et une bonne part de notre raisonnement. La question du choix qui s’offre parfois à nous - je reviens juste sur ce point ! - est ici d’une perversité absolue. Je me demande bien ce que vous choisiriez de faire à la place d’un des personnages de ce roman ! A méditer… Vous comprendrez.
Nous débarquons à Berck-sur-Mer, dans le Pas-de-Calais. Nous sommes en hiver, les plages paraissent sans fin, une ambiance de hors saison nous accueille. Léane Morgan, qui vit avec son mari et sa fille dans une villa au bord des dunes, est une auteure de thrillers à succès. L’enlèvement de sa fille sera notre entrée froide.
Ensuite, - et c’est là que cela va devenir intéressant -, l’auteur va nous servir moult plats de résistance que nous allons rapidement engloutir, déguster parfois, mais digérer difficilement. Comme ce cadavre de femme, mutilée, découpée, retrouvée dans le coffre d’une voiture, volée lors d’un braquage.
Mis à part les nombreuses ramifications que nous allons suivre, Franck Thilliez va nous surprendre avec son style. Je ne vais pas entrer dans les détails, mais nous allons être confrontés à un schéma qui s’apparente à ces fameuses poupées russes - les matriochkas -, qui s’imbriquent les unes dans les autres.
Plus on avance, plus on a l’impression de reculer. Beaucoup d’informations nous parviennent, page après page, mais, paradoxalement, nous savons toujours où on va. Du moins, c’est ce que veut nous faire croire l’auteur. Il nous guide, avec habileté, mais plutôt pour nous emmener vers une multitude d’interrogations.
L’Ecrivain sera au centre de cette magistrale intrigue. Est-ce que vous croiserez peut-être l’âme de Franck Thilliez dans cette histoire, sous divers pseudonymes ? J’en ai bien l’impression. Du moins, quelques éléments tendent à me le faire penser.
Un flic, Vic Altran, avec sa brigade, sera chargé de l’enquête sur la jeune femme mutilée retrouvée dans le coffre de la voiture. Cet homme est intéressant à suivre étant donné qu’il est atteint d’hypermnésie, c’est à dire que son cerveau retient tout, et ne recrache absolument rien. Les chiffres, les visages, les dates ou encore les situations, tout demeure scotché à sa matière grise pour ne plus jamais se décoller. Sa vie est à l’image de son cerveau : c’est le bordel total.
Le cerveau, ses dysfonctionnements, sa capacité à nous protéger ou à nous épargner, mais aussi son exceptionnelle performance ou ses moult possibilités, sera encore une fois à l’honneur ici. Franck Thilliez va tisser une toile subtile et complexe autour de ce phénomène.
Entre mémoire défaillante et cerveau surpuissant, ou encore entre clairvoyance et cécité, l’auteur nous fera passer par un tas de paradoxes pour nous conduire vers une vérité qui pue le mensonge. Que se passe-t-il lorsque tout s’écroule autour de vous ? Que se passe-t-il lorsque les seuls repères qui vous restent, solides, dignes de confiance, tombent également en miettes ?
La personne confrontée à cette situation sera contrainte - aucun choix possible ! - de suivre un axe qui s’est posé en travers de son chemin habituel, une ligne qui sera sensée la conduire vers des réponses capitales, vers des explications cruciales lui permettant de reprendre sa vie en main. Car sa vie, à ce stade, est devenue une formule à mille inconnus.
Le dénouement est à l’image d’un liquide évoluant dans un entonnoir. Plus on avance, plus c’est étroit et plus la pression augmente. Les moments de répit se font rares, voire disparaissent, pour ne laisser la place qu’à une tension permanente. Le bout du tunnel arrive pour nous, lecteurs, mais pour les personnages de ce thriller, c’est la révélation ultime d’une déchéance humaine totale.
L’enfer existe bel et bien lorsque toutes les barrières qui nous retiennent - celles qui maintiennent la morale -, s’effondrent, les unes après les autres, jusqu’à la dernière.
La vie est ainsi faite. Lorsqu’elle nous prive de tout, depuis le début, on se sert nous-même, jusqu'à la fin.
Bonne lecture.