"Purgatoire des innocents", de Karine Giebel --- Un bel affrontement d'émotions!
Purgatoire des innocents
Karine Giebel
Fleuve Éditions - Univers Poche / 2013
638 pages
Ce thriller est le premier que j'ouvre de Karine Giebel. Je ne sais pas si c'est par celui-ci qu'il fallait commencer, mais finalement, quelle importance? De toute manière, je n'y suis pas ressorti indemne.
Karine Giebel nous enferme dans une sorte de huis-clos assez gênant et suffoquant, ne donnant pas une grande chance à l'espoir. C'est étouffant. On endure ce roman comme si l'on retenait un poids lourd qui nous glisse dessus.
Je qualifierais ce récit de torture mentale, tant le manque d'espoir est désarmant. Le sentiment d'être inutile et impuissant face à ce morbide et sombre spectacle est absolument insupportable. Les protagonistes de cette histoire sont martyrisés par une auteure qui a, semble-t-il, décidé de se déchaîner totalement. C'est une vraie torture, autant pour nous que pour les personnages.
Pas de place à l'espoir, mais une grande place pour la fraternité, celle qui est indestructible et qui laisse, finalement, une petite lumière quelque part. Cet aspect-là de l'histoire est loin d'être anodin. Mais est-ce vraiment encore utile de s'accrocher lorsqu'on rampe à quelques centimètres de sa propre tombe? Grande question. Fascinant de s'identifier aux personnages de ce roman, d'endosser leur rôle, et de se demander comment nous réagirions à leur place.
Cette histoire débute par une tuerie dans une bijouterie, un casse qui ne s'est pas vraiment déroulé comme prévu. Trois hommes, une femme, voici la formation de ce groupe de truands qui ne semble pas être composé de novices.
Blessures, fuite, planque, trouver un médecin; l'équipe est déstabilisée, mais déterminée. Ça passe ou ça casse. Le décor est planté.
Karine Giebel nous offre ses brefs chapitres en respectant un rythme soutenu accompagné d'une tension frisant l'électrochoc. Écriture brute, sans fioritures, l'auteur nous sert donc l'essentiel. Dès le départ, le lecteur remarquera que l'auteure n'a pas sorti sa plume dans l'intention de nous préserver, mais plutôt pour nous la planter dans la peau.
Personnages inquiétants, troubles, durs et vulnérables à la fois. Nous voici donc déjà avec quelques paradoxes dans l'âme des personnages, signes annonciateurs d'un thriller prometteur. Difficile de les cerner; peuvent-ils d'ailleurs le faire eux-mêmes? Pas si sûr.
Un homme, un prédateur, perturbe également le rythme de ce roman en s'appliquant sur une tâche très importante, essentielle même: se faire une jeune et innocente ado, se l'accaparer et jouer un peu avec. C'est viscéral, c'est même peut-être un peu sentimental pour lui. Gerbant.
Voici ce que nous sert l'auteure en entrée, juste l'essentiel, pas de garniture, pas de fioritures. C'est brut et c'est violent. L'écriture est sadique, sans ménagement. Dommage, à mon sens, que quelques longueurs s'installent inlassablement dans ce début de roman et cassent un peu ce rythme fou. L'auteure va droit au but, c'est vrai, mais avec trop de répétitions.
Cependant, ça accélère soudainement. L'ambiguïté des personnages s'intensifie, leur personnalité devient complexe, troublante. Qui est le maître, qui est le bourreau et, finalement, qui est vraiment la victime, le dominé ou le dominant? Ou bien alors, ces rôles peuvent-ils changer, évoluer, se déplacer d'une personne à l'autre comme un virus? Sans doute pas, mais cela sera encore un peu plus complexe.
L'emprise et la manipulation semblent avoir un rôle clé dans cette histoire, mais difficile de placer les protagonistes sur la bonne case de l'échiquier. Du moins, au début.
L'auteure arrive à transmettre une bien étonnante sensation au lecteur concernant la qualité ou la fonction des personnages, et ceci avec une lenteur, ou plutôt une constance qui surprend. Les longueurs dont je me plaignais ci-avant deviennent presque un atout, au bout du compte.
A un moment donné, je me suis senti assez malin pour deviner où voulait en venir l'auteure avec les événements qui étaient en train de se dérouler, notamment avec le rôle des personnages. En effet, j'avais vu juste, mais voilà, ce n'était pas un secret d'Etat! Karine Giebelnous dévoile assez rapidement cet aspect du récit et, du coup, je ne me sens pas très fier de m'être senti malin si rapidement!
L'auteure va très loin dans l'ignoble, dans la perversité, la cruauté et dans la douleur. Le personnage qui devient le centre du récit regorge d'inhumanité. Il inspire le dégoût à l'état pur. Ses propos, ses convictions et sa vision de l'être laissent penser que nous sommes face à la pire saloperie que le monde ait pu engendrer. Un pervers narcissique qui s'accapare de l'autre, qui renvoie tout à son image, l'image parfaite.
Que se passe-t-il lorsqu'un prédateur façonné dans le roc se retrouve sous l'emprise d'un prédateur construit de perversité et d'apathie? Cette histoire répondra, peut-être, à la question.
Jusqu'où l'emprise sur une personne peut-elle aller? Y aurait-il tout de même des limites? Là aussi, Karine Giebel nous éclairera en mettant en scène un personnage troublant, perdu, une femme qui n'en est plus une, une âme en perdition totale.
Tous ces ingrédients vont être lancés dans la marmite. Les émanations qui en ressortiront une fois la préparation bien chauffée vous laisseront un goût bien amer au fond de la gorge.
Le dénouement suit une direction assez logique et juste, mais nous oublierions presque ce que sont les significations des termes "juste", "justice" ou encore "morale". On souhaiterait que cela se termine différemment ou, avec du recul, peut-être pas. Quelle torture psychique, je l'ai dit!
Bonne lecture.