"Meurtres pour rédemption", de Karine Giébel - une belle claque...
Meurtres pour rédemption
Karine Giébel
Éditions Fleuve Noir / 2010
989 pages
A mon sens, Karine Giébel réussit un truc assez hallucinant avec cette histoire. Après plus de 700 pages, tout reste encore figé, tout est encore en suspens et nous ne sommes qu'en phase de préliminaires. L'auteur nous travaille, nous prépare et nous façonne à sa guise pour nous donner un coup de grâce qui ne vient pourtant pas, mais nous le percevons, à chaque instant. Karine Giébel nous tend un piège lent, diabolique et très sophistiqué au niveau de la nature humaine.
Alors, évidemment, il faut s'armer de patience et aimer se faire travailler au corps, comme un boxeur résigné et docile. L'auteure nous tourne autour et nous donne chaque fois un petit coup pour tester notre réaction. Et comme tout grand boxeur, Karine Giébel saura trouver la faille pour asséner le coup fatal!
Marianne, 20 ans, a pris perpétuité pour avoir tué. Prison pour femmes, prison sans âme, prison infâme. Marianne vit tous les jours le même jour, les mêmes sévices, encore et encore. Au fil des pages, on ressent l'enfermement, autour d'elle, autour de nous, autant qu'elle, c'est limite dérangeant! Cette détenue, que nous observons jour après jour, a quelque chose de malsain, d'inquiétant. Qui est-elle vraiment? Cette jeune femme donne l'impression d'être une douleur ambulante, une âme perdue et paradoxalement une bombe à retardement d'une extrême violence. On s'attache, on ne comprend pas trop cette réaction.
Ce personnage, il faut le dire, me fascine. Cette jeune femme représente à la fois le bien et le mal, la force suprême et la faiblesse, la beauté et la laideur dans l'âme, c'est surprenant.
Et c'est justement là que nous nous faisons la réflexion suivante: nous sommes bel et bien entrés dans l'univers Giébel. Les personnages, toujours et encore. L'auteur nous dépeint des personnages en trois coups de pinceau et nous sommes déjà subjugués par leur complexité, nous sommes plein d'interrogations et un peu perdus aussi. J'adore ça, j'avoue.
Le lien entre les personnages est fort, épais, confus souvent, et très recherché. Dans l'ambiance morne et sans âme de la prison, le lien entre une détenue et son gardien restera pour moi un moment particulier et, justement, très complexe au niveau humain. C'est extrême, mais finalement l'être humain peut l'être, il suffit d'y mettre les divers éléments qui donnent la bonne combinaison pour s'engouffrer corps et âme dans cette extrémité. Je resterai assez vague là-dessus, évidemment.
Une histoire d'amour à travers la cruauté, la torture et les coups dans la gueule? Pourquoi pas, encore une fois, c'est bluffant.
Et quelle prouesse de la part de l'auteure pour nous enfermer à distance entre quatre murs! Le fait de tourner les pages nous éloigne toujours un peu plus de la liberté et nous sommes contraints - c'est mon cas - de poser quelques fois ce pavé pour retrouver un peu d'air et d'espace et ainsi éviter d'étouffer. Joli coup. Mais, paradoxalement, nous faisons partie de cet endroit, qui devient presque familier.
Petit bémol - mais encore une fois, tout semble calculé avec Giébel -, nous passons beaucoup de temps au cachot, du moins enfermés, le temps est long, c'est assez répétitif mais, à contrario, cela dépeint une sacrée atmosphère!
Et soudain, c'est la proposition indécente, un choix à faire, c'est l'occasion à ne pas manquer, il faut monter dans le train avant qu'il ne quitte définitivement le quai. Marianne est autorisée à sortir, son évasion étant organisée. Mais à quel prix?! Elle ne le saura que bien trop tard. Et nous aussi.
Le "jeu" des personnages est ahurissant, c'est lourd, nous passons par maintes émotions. Celle qui dominera sera essentiellement pour moi le dégoût et l'envie de détruire et torturer certains d'entre eux! Et peut-être l'envie d'essayer d'en protéger d'autres. Cela reste assez instable, nos émotions glissent d'un côté et d'un autre comme balancées par le roulis d'un navire.
L'intrigue se concrétise sur les dernières pages. Une tournure inattendue se dévoile mais je ne suis pas si surpris que cela. C'est bien amené, oui, mais je ne reçois pas l'électrochoc que j'attends depuis des centaines de pages, mais uniquement une belle secouée et un sentiment de dégoût assez épais. Je ne vais rien dévoiler, mais nous irons dans une direction politique, et qui dit politique, dit pouvoir, dit passe-droit, impunité, immunité et j'en passe.
Utiliser les gens comme une vulgaire merde sans importance sera un peu ce qui va ressortir de cette histoire qui donne envie de gerber.
Les personnages resteront le grand atout de ce roman. Sur ce point, c'est un sans-faute.
Ceux-ci vont me hanter pendant un petit moment, c'est certain.
Bonne lecture.