"Prendre Lily", de Marie Neuser

Publié le par Paco

Prendre Lily
Marie Neuser

Editions Fleuve Noir, 2015
523 pages


"Prendre Lily", c'est ouvrir un polar atypique. C'est aussi nous projeter dans un univers particulier, nous faisant sortir des sentiers battus, en attaquant par un angle un peu différent. Différent par rapport à quoi me direz-vous? Par rapport à l'intrigue qui est principalement orientée sur une manière de faire, axée sur des éléments, des preuves à dénicher, face à un sujet, une cible connue et identifiée.

C'est une histoire qui vomit la frustration par giclées, l'incompréhension et le dégoût. C'est un sacré polar qui nous donne envie de crier, de nous révolter avec les personnages.

L'auteur nous aborde d'une manière assez radicale, en nous posant au centre d'une scène de crime sanglante et assez barbare. Le ton me plaît dès le départ: c'est direct, clair et surtout c'est très axé police scientifique. Pour le flic que je suis, ça me parle assez bien et capte rapidement mon attention.

L'état de la victime, une mère de famille sans histoire, divorcée et assez casanière, laissera penser que l'agresseur est un dérangé, un psychopathe qui ne va probablement pas en rester là.

Le récit est raconté à la première personne, et celle-ci est matérialisée par le flic qui débarque justement sur cette scène de crime, laissant apercevoir cette mère de famille mutilée dans sa baignoire.

L'enquête est très réaliste, avec ses lots d'emmerdes, créant des déceptions, des moments de flottement ennuyeux et désespérants pour les enquêteurs, bref la réalité.

Dans cette petite ville d'Angleterre, les flics de la criminelle ne semblent pas forcément être prêts à affronter un tueur de cette envergure, pervers, avec des motivations peu nobles, agissant peut-être en série. Ils paraissent surtout assez démunis pour ce qui est du travail d'enquête y relatif. Là encore, pas de superflics, juste une équipe qui essaye de mener à bien sa mission, avec comme adversaire supplémentaire les tracas liés aux procédures. Le challenge est de trouver des preuves plus qu'accablantes, car "juste" accablantes ne suffit plus dans ce système judiciaire.

Cette enquête laissera des traces indélébiles dans les âmes malmenées des inspecteurs en charge de l'affaire, c'est certain. L'aspect inhumain des actes commis se frottant contre le bon sens et la sensibilité des enquêteurs ne fera pas vraiment de cadeaux pour celles et ceux qui s'y plongent corps et âme. L'aspect touchant aux procédures pénales donnera également quelques aigreurs dans notre estomac, comme dans celui des inspecteurs. 

Élément très intéressant dans le déroulement de l'enquête: un suspect sera très vite placé au-devant de la scène, respectivement en garde à vue. Mais les enquêteurs vont se casser toutes les dents contre une borne en béton appelée le système judicaire. Je dirais ici que le principe d'échange d'Edmond Locard, le fondateur du premier laboratoire de police scientifique, en prendra un grand coup dans la tronche:

"Lorsqu'un acte criminel se produit, l'individu responsable laisse des traces de sa présence et emporte avec lui des traces du lieu où il se trouvait".

Mais là: nada.

Pour avancer, les enquêteurs anglais se rendront en Italie, dans une ville au sein de laquelle le sens de la justice tourne comme une girouette en pleine tempête, ceci au gré des magistrats et du pouvoir en place, ou encore en fonction des liens avec une justice parallèle, si voyez ce que je veux dire. Les flics vont remonter le courant tels des saumons ravagés par une soif intense de justice.

Remonter à la source donnera enfin un peu de grain à moudre, assez pour faire redémarrer l'enquête sur le meurtre de la mère de famille mutilée. Mais peut-être aussi sur d'autres affaires.

Encore un élément intéressant et très pertinent dans cette affaire: les enquêteurs connaitront l'auteur, nous connaîtrons l'auteur, tout semble logique et clair, mais encore faut-il le prouver. Nous allons nous retrouver face à une situation criminelle très intéressante à suivre! La lecture en deviendra frustrante et dérangeante! Tout est là, tout est logique! Mais ... Il y a toujours un putain de mais.

Et le temps qui passe, hélas, c'est souvent la vérité qui fuit.

Les personnages sont d'une grande intensité. Le suspect dans cette histoire est brossé au peigne fin, le lecteur vouera un dégoût tout particulier pour ce personnage perfide dégoulinant autant de sournoiserie que de sueur. Un tas de graisse, simplet en apparence, mais doté d'un machiavélisme invraisemblable.

La patience et la ténacité seront les éléments clé pour arriver au bout de cette enquête-marathon frustrante et douloureuse.

Pour revenir aux personnages, celui qui mène l'enquête et qui nous l'explique est très intéressant dans sa manière de fonctionner. Par cet homme, l'auteur nous montre jusqu'où une enquête difficile et frustrante peut emmener un flic dans sa tête, dans son âme. La folie n'est jamais loin, les signes annonciateurs de cet état étant relativement clairs: insomnies, soif de vengeance, œillères, désarroi, dégoût ou encore le goût de la haine au fond des tripes.

L'envie d'avancer devient si forte, si intense, cela devient presque si personnel que le psychisme devient le conducteur unique de l'état du corps, de la santé. Et cela n'est jamais bon.

L'auteur nous démontrera également dans cette intrigue à quel point une enquête peut être vite démolie, saccagée et mise à mal par des personnes manquant cruellement du sens de la justice, ou par d'autres qui sont assez puissantes pour orienter l'œil de cette justice vers des directions bien définies. La faiblesse de la justice de l'Homme dans toute sa splendeur!

Une belle réussite à ce qui a trait à cette justice, aux erreurs judiciaires, aux limites auxquelles elle est confrontée, bref, une histoire sur pas mal d'injustices finalement. Une triste réalité.

Bonne lecture.

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A
Une lecture que j'avais bien aimée tout de même.
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P
J'attends la suite ...