"Block 46", de Johana Gustawsson

Publié le par Paco

Block 46
Johana Gustawsson

Editions Bragelonne / 2015
329 pages

Date de sortie: 21 octobre 2015

Âmes sensibles s'abstenir, mais cela serait vraiment dommage! Mettez votre sensibilité en standby, souffrez, pardon..., soufflez un bon coup - indispensable, vital -, et lancez-vous.

Dans l'ensemble, c'est terriblement prenant! La partie se déroulant dans le passé est tout simplement parfaite. Juste quelques petits détails m'ont un peu déçus. J'y reviendrai.

Le prologue de ce roman est assez classique pour un thriller; nous savons dès le départ que nous allons devoir traquer un détraqué, une personne qui n'a pas toutes les pages dans l'ordre alphabétique dans sa tête, un individu plutôt dangereux, imprévisible. 

L'auteur nous donnera l'occasion de l'approcher, de l'observer et de l'entendre divaguer. Le comprendre? Pas sûr.

Dans cette histoire, nous voyagerons un peu, autant au niveau géographique que dans le temps. Johana Gustawsson nous propose, - nous impose -, quelques sales escales dans le passé, dans les années 40, en Allemagne; camp de concentration de Buchenwald. J'ai bien dit quelques escales, car l'auteur nous ramènera sans arrêt à cette période, au gré des chapitres, ceci pour notre plus grand malheur.

Cette période que nous connaissons plus ou moins toutes et tous, à différents niveaux, évidemment, sera le point de départ du roman, ou plutôt le point névralgique de l'histoire. Encore faudra-t-il trouver le lien.

Johana Gustawsson n'ira pas par quatre chemins pour nous narrer cet enfer - il n'y en a de toute manière même pas deux si l'on ne veut pas cacher la merde au chat! (expression très familière, autrement dit: se voiler la face) -, et ainsi nous placer proches de cette scène aux activités innommables et insurmontables. Cette déshumanisation est très explicite, décrite d'une manière crue, glaciale, sans état d'âme, couchée sur un papier de verre bien rugueux et poisseux qui nous donne presque envie de gerber.

Ca pue la mort, la viande pourrie, ça sent la souffrance, la peur et surtout la perte totale d'espoir. C'est sans doute cela le pire à mon sens: l'injustice et la perte complète de l'espoir.

Buchenwald, camp de concentration nazi créé en juillet 1937 sur la colline d'Ettersberg, près de Weimar, en Allemagne. Des centaines de milliers de personnes déportées, hommes, femmes et enfants. Un camp divisé par secteurs, par blocks; nous allons y entrer.

Nous nous imprègnerons notamment du block 46, et la mort va en faire autant avec notre peau, en s'imprégnant jusqu'à la couche de tissu la plus profonde, jusqu'à la moelle. Je retiendrai l'image de ces amas de corps entassés devant les fours ou tables "d'autopsie", avec des corps d'enfants parfois pas encore vraiment morts. Un simple détail à régler! C'est trash, oui, mais l'Histoire l'est tout autant.

Nous emboîterons le pas d'Erich, un jeune Allemand, notre repère "humain" dans ce concentré d'atrocités, d'infamies, au centre duquel arrivent des wagonnées de bétaillères transportant un cheptel usé, martyrisé et torturé nageant dans leur propre merde. Une vraie honte. Erich, ayant de bonnes bases en médecine, sera détaché des autres, malgré lui, pour accomplir des travaux au caractère un peu particulier.

Nous pourrons dès lors observer comment une personne ayant perdu tout espoir, tous ses repères et toute notion humaine, peut changer radicalement en s'accrochant à ce qu'il peut. L'auteur ira encore un peu plus loin à ce niveau, une très belle preuve de courage!

La plume de Johana Gustawsson ne donne pas un seul signe d'hésitation, de retenue, pas un seul accroc dans le papier dénotant un doute, une certaine réticence, tout est relaté avec froideur et sans détour: c'est cru. Les sous-entendus n'existent pas. Il est vrai que garder une certaine réserve n'aurait pas vraiment de sens ici, l'Histoire étant écrite et mise en boîte déjà depuis bien longtemps. L'auteur semble l'avoir bien compris - elle est d'ailleurs bien placée pour le savoir - si nous nous référons à la cruauté de son récit.

Passons au présent.

Alexis Castells, écrivain, est une jeune femme dynamique vivant à Londres. Son tripe est l'univers des tueurs en série. A l'instar du criminologue Stéphane Bourgoin, c'est un grand malheur dans son intimité qui l'a attirée un jour vers ce cercle constitué de déviance, de souffrance, d'incompréhension et de mort. Essayer de comprendre, justement.

Pour stagner dans le malheur, un soir de janvier 2014, elle apprendra qu'une de ses amies, qui vit entre l'Angleterre et la Suède, a été assassinée. Visiblement, on attire parfois les morts violentes dans son entourage!

Le flic en charge de cette enquête, le commissaire Bergström - en Suède, vous l'aurez deviné - découvre une scène de crime qui change un peu de son ordinaire. Nous sommes au port de plaisance de Falkenberg. Sous une barque renversée gît le cadavre d'une femme. Bilan: yeux arrachés, pubis rasé, scarification sur un bras, trachée sectionnée.

Entre en scène Emily Roy, profileuse de renom qui a été mandatée pour définir un profil du ou des tueurs, afin d'obtenir une identification. Une femme déstabilisante, froide, manipulatrice, dotée d'un charme particulier. Pour Emily Roy, cette affaire a débuté à Londres, deux enfants ayant été traités de la même manière que la victime de Falkenberg, en Suède. Vous l'aurez compris, nous traquons un tueur en série qui n'y va pas vraiment de main morte, entre Londres et la Suède. 

C'est l'univers des tueurs en série qui a un jour réuni Emily Roy et notre écrivaine Alexis Castells, l'une étant profileuse pour la police britannique, l'autre étant fascinée par ce phénomène.

L'une comme l'autre voudra connaître la vérité sur cette affaire et fera tout pour y arriver, chacune à sa manière, chacune pour ses propres raisons. La première, professionnelle, dépourvue de sensibilité - en apparence -, la seconde avec un peu plus d'émotion.

Concernant cette enquête, l'auteur nous balance la tête la première dans l'angoisse et la peur, toujours avec des mots bien choisis, crus, durs. Les enfants seront à l'honneur, l'honneur d'avoir le mauvais rôle et de bien souffrir, et nous avec. L'auteur va assez loin dans la perversité, c'est no limit!

La police va devoir faire face à un (ou des) tueur(s) d'enfants, à la presse, au mélange des deux. Il faudra aller chercher à la source pour comprendre. Et cette source est parfois bien loin et difficile à découvrir. Au fil des pages, nous commencerons à comprendre et à assimiler tous les éléments qui nous sont passés entre les mains. Le passé n'est parfois pas si simple; l'Histoire n'est pas constituée comme une serrure qui se verrouille à jamais, hermétiquement.

L'explication que nous attendons nous parvient petit à petit, mais si on réfléchit, on aperçoit déjà un peu les grandes lignes durant l'intrigue. Manque tout de même quelques détails croustillants qui ne louperont pas de nous claquer à la g...

Les personnages représentent un joli atout pour la qualité de ce roman. J'y attache une grande importance et j'y ai plus ou moins trouvé mon compte. Deux femmes, principalement, sont au-devant de la scène, deux femmes bien différentes, peut-être deux côtés bien distincts de l'auteure!

J'aurais tout de même souhaité que certains personnages soient un peu plus fouillés. La profileuse Emily Roy, par exemple, est une femme qui aurait mérité d'être plus détaillée, surtout au niveau de son intimité, de son mental. Il est vrai que c'est une personne énigmatique, mais le lecteur que je suis aurait eu besoin de la connaître un peu plus. Concernant son job, j'aurais apprécié qu'elle soit un peu plus active et un peu moins effacée. C'est un personnage intéressant qui a été mis en scène d'une magnifique manière, du coup j'en aurais voulu plus. Elle mérite plus!

Concernant les faits du passé, je l'ai dit au début, c'est tout simplement parfait. L'émotion est à son paroxysme, c'est détaillé, fouillé, précis, très fort et très prenant. Bravo! Au niveau de l'enquête qui se déroule de nos jours, j'ai eu un petit souci avec le rythme qui était un peu pénible par moment. L'enquête stagne un peu, puis ça avance rapidement, puis cela ralenti de nouveau un peu, bref, petit problème d'allure pour moi. Bon, il faut dire que tout ce qui a trait à une enquête de police m'interpelle énormément et j'avoue être assez exigeant. Mais restons clairs, j'ai parlé de détails, ne l'oublions pas!

Bonne lecture et préservez-vous un peu, c'est un récit dur!

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R
Je suis désespérée d'avoir découvert Gustawson maintenant... elle n'a encore écrit que deux livres. Après avoir lu Block 46 d'une traite, j'ai foncé acheter Mör.<br /> Il me faut donc attendre qu'elle écrive le prochain.
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P
Ta patience sera de toute évidence récompensée! :-)
A
Pas envie de ce genre d lectures en ce moment, mais je le note pour plus tard.
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P
Oui c'est assez trash, c'est du brut de brut..